V concernant un épisode de Dumont

COMITÉ RÉGIONAL DU QUÉBEC
Décision du CCNR 11/12-0434
28 mars 2012
D. Meloul (présidente), G. Moisan (vice-président), A. H. Caron, V. Dubois, M. Ille, J. Pennefather (ad hoc)

LES FAITS

L’émission Dumont est une émission-débat sur l’actualité qui est animée par Mario Dumont et diffusée à l’antenne de V du lundi au vendredi à 23 h. Son invité lors de l’épisode du 20 octobre 2011 était Martin Pelletier, et les deux hommes ont parlé de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (la Commission Charbonneau), dont la création venait tout juste d’être annoncée par le gouvernement du Québec (libéral). Pendant leur conversation, ils ont discuté, entre autres, du Parti libéral du Québec. Voici un extrait de cette partie de leur conversation (la transcription plus complète de ce segment se trouve à l’annexe A) :

Pelletier :          Mario, dans les sondages encore, y’a encore 25 pour cent de lobotomisés, là, qui nous écoutent, qui s’apprêtent à voter pour le Parti libéral. Ça prend-tu une gang de lobotomisés, sans cerveau ou ben donc des crottés pour voter encore pour un parti –

Dumont :          Les gens ont le droit à leur opinion!

Pelletier :          Ben oui, y’ont le droit à leur opinion!

Dumont :          Y’a des gens qui sont rouges au Québec, y’ont peur –

Pelletier :          Ben oui, y sont rouges mais s’en est pathétique, là –

Dumont :          Y’ont peur que le Canada soit pété, y’ont peur que le Canada soit séparé pis que tout ç’qu’y entendent qui est autre que libéral y voient ça comme une menace. Y’a ça au Québec.

Pelletier :          Les immigrants, les anglos pis les, ceux qui sont branchés, hein, ceux qu’y sont sur le bord de partir.

Dumont :          Cela étant dit, c’est pas impossible, les militants libéraux des 125 comtés, c’est pas impossible qu’il y en ait quelques-uns, pis je les encourage à le faire, dites ce que vous pensez vous allez dans un congrès politique.

Le CCNR a reçu une plainte en date du 20 octobre au sujet de cette émission (le texte intégral de toute la correspondance y afférente se trouve à l’annexe B). Selon le plaignant, les commentaires exprimés pendant l’émission à l’endroit des gens qui votent pour les libéraux sont « racistes, haineux et dénigrants » et ne doivent pas être tolérés à la télévision. Dans la réponse que la station a fait parvenir au plaignant le 14 novembre, elle souligne que « M. Pelletier est bien connu pour ses opinions tranchées » et que l’émission vise à encourager la discussion et la réflexion sur les sujets faisant l’objet des discussions. Dès réception de cette réponse, le plaignant a déposé une Demande de décision au CCNR et a réécrit au télédiffuseur réitérant sa position à l’effet de ne pas permettre la diffusion d’« opinion raciste » en ondes.

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière de l’article concernant les droits de la personne du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Code de déontologie de l’ACR, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné l’émission qui fait l’objet de la présente décision.

Cette émission a été diffusée dans la foulée de l’annonce de la création de la Commission Charbonneau, 1ère version, (la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction) une Commission dont les pouvoirs étaient à l’origine très limités et qui a été mise sur pied après plusieurs mois de débats passionnés sur la place publique. L’émission avait aussi lieu à la veille du congrès du Parti libéral du Québec.

Après plusieurs commentaires caustiques sur la Commission Charbonneau, M. Pelletier s’en prend, dans un premier temps, aux « 25 pourcent de lobotomisés, là qui nous écoutent, qui s’apprêtent à voter pour le Parti libéral. Ça prend-tu une gang de lobotomisés, sans cerveau ou ben donc des crottés pour voter encore pour un parti ». S’ensuit un échange avec l’animateur M. Dumont qui suggère qu’une partie de l’électorat craint probablement l’éclatement du Canada. M. Pelletier reprend ensuite la parole pour faire le commentaire suivant : « Les immigrants, les anglos pis les, ceux qui sont branchés, hein, ceux qui sont sur le bord de partir. »

La majorité des membres du Comité était d’avis qu’il n’y avait pas de lien entre les deux commentaires de M. Pelletier au sujet des gens qui votent pour le Parti libéral du Québec. Dans son premier commentaire, M. Pelletier a ratissé large, mettant dans le même sac 25 % des électeurs du Québec en les traitant de lobotomisés et de crottés.

Après l’intervention de M. Dumont soulignant que certains électeurs craignent l’éclatement du Canada, M. Pelletier enchaîne avec les « immigrants », « les anglos » et « ceux qui sont branchés ».

Selon la majorité des membres du Comité, le deuxième commentaire de M. Pelletier se rapportait à l’intervention de M. Dumont, c’est-à-dire que ceux qui craignent l’éclatement du Canada sont des immigrants, des anglophones ou des personnes âgées et il ne qualifiait pas le premier commentaire où M. Pelletier traitait 25 % des électeurs québécois de crottés et de lobotomisés.

Deux des membres du Comité ont quant à eux vu un lien entre les deux commentaires de M. Pelletier et ont exprimé une opinion dissidente à cet égard seulement. Cependant, tous deux étaient d’avis que ces commentaires, même liés, n’étaient pas indûment abusifs ou discriminatoires.

Les membres du Comité ont donc conclu que la diffusion de l’émission Dumont du 20 octobre 2011 n’a violé ni l’article 2 du Code de déontologie de l’ACR, ni l’article 2 du Code de l’ACR sur la représentation équitable.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, V a donné une réponse adéquate expliquant son point de vue au plaignant. Le réseau a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. La station à l’égard de laquelle la plainte a été formulée est libre de la rapporter, de l’annoncer ou de la lire sur les ondes. Cependant, là où la décision est favorable à la station, comme c’est le cas dans la présente affaire, celle-ci n’est pas obligée d’annoncer le résultat.