V concernant Les Détestables

comité régional du québec
Décision du CCNR 12/13-0166
rendue le 16 avril 2013
D. Meloul (présidente), G. Moisan (vice-président), S. Charbonneau, V. Dubois

LES FAITS

Les Détestables est une émission humoristique de caméra cachée. Des comédiens et comédiennes âgés (ou des comédiens interprétant des personnes âgées) font ou disent des choses ridicules ou inappropriées en public et la caméra capte la réaction des interlocuteurs et des témoins à leur insu.

V a diffusé un épisode de l’émission le 20 septembre 2012 à 19 h. Il n’y avait aucune icône de classification au début de la diffusion.

L’épisode comportait plusieurs sketchs : une vieille dame dit à un jeune homme, après avoir examiné ses mains, qu’elle est sûre qu’il a un petit pénis; un vieillard conduit son scooter qui transporte une poupée gonflable; une vieille dame se plaint de ne pas avoir été servie et traite une serveuse de « pute paresseuse »; une vieille dame en insulte une plus jeune au sujet de sa coupe de cheveux; une autre enfin dit à une jeune femme « toi, ça paraît que t’as pas d’hymen. Tu vas brûler en enfer. » L’émission capte et retransmet les réactions de l’entourage face à ces situations loufoques.

Le plaignant a déposé sa plainte au CRTC le jour même où l’épisode a été diffusé et le CRTC l’a aussitôt transmise au CCNR. Le sketch qui motivait la plainte se déroule ainsi. Deux dames âgées sont assises dans un restaurant :

Dame 1 : Mademoiselle, Mademoiselle, c’est ben long le service ici.

Serveuse : Mais c’est un buffet. Quand vous êtes prêtes, vous passez au buffet, Madame.

Dame 1 : Comment ça on va se servir nous autres mêmes?

Serveuse : Mais c’est comme ça le buffet.

Dame 2 : Vous n’avez aucun respect pour les personnes âgées. Cette pute paresseuse.

Le plaignant déclare dans sa plainte que cette scène l’a dérangé, qu’elle est « inacceptable » et indique « un manque flagrant de savoir-vivre ».

Le télédiffuseur a répondu à la plainte le 30 octobre, mais le plaignant s’est déclaré insatisfait de sa réponse et a fait une demande de décision le 2 novembre 2012. (La correspondance complète figure dans l’annexe.)

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière des articles suivants :

Code de l’ACR concernant la violence, article 4.0 – Système de classification

[Dans l’avis public CRTC 1997-80 approuvant le système de classification, le CRTC déclare que « les classifications doivent être appliquées, à tout le moins, aux émissions pour enfants (émissions destinées aux moins de 12 ans), aux dramatiques, aux “émissions de télévérité” (dramatiques présentant des faits et des personnages réels), aux longs métrages, aux promotions portant sur l’une quelconque de ces émissions ainsi qu’aux messages annonçant la sortie des films en salle ». Le choix de l’icône repose sur les catégories énumérées ci-dessous, les Protocoles sur l’usage des icônes et les Spécifications techniques approuvées par le CRTC en juin 1997 et adoptées par les télédiffuseurs en septembre 1997.]

Système de classification

E – Exemptées

Émissions exemptées de classement.

Ce classement s’applique aux :

On n’exige pas que la programmation exemptée s’accompagne d’une icône de classification à l’écran, et dans ce cas les radiodiffuseurs ne sont pas tenus d’encoder la classification dans le signal de radiodiffusion.

Général

L’émission peut être vue, louée ou achetée sans risque par des personnes de tout âge. La mention « Visa général » ne veut pas dire que l’émission présente nécessairement un intérêt pour les enfants. Elle signifie plutôt que son contenu n’est pas susceptible de les perturber. Si toutefois l’émission classée « G » est de nature à heurter la sensibilité des enfants de moins de huit ans, la Régie du cinéma ajoute au visa général l’indication « Déconseillé aux jeunes enfants ».

Une œuvre classée « Visa général » peut tout de même comporter certaines scènes de violence. Ces dernières seront toutefois peu nombreuses, peu intenses ou présentées sans complaisance. Le ton et le genre de l’émission sont des éléments de décision importants : ainsi, les scènes de violence contenues dans une comédie ou une émission d’aventures centrée sur un héros plus grand que nature n’ont pas le même impact sur les enfants que celles d’une émission plus réaliste dans sa mise en scène.

Si la nudité peut être présente, les scènes d’amour demeurent cependant assez discrètes. Selon le contexte, certains écarts de langage sont acceptés.

8+ (Général – Déconseillé aux jeunes enfants)

Cette émission convient à un public large, mais elle contient une violence légère ou occasionnelle qui pourrait troubler de jeunes enfants. L'écoute en compagnie d'un adulte est donc recommandée pour les jeunes enfants (âgés de moins de 8 ans) qui ne font pas la différence entre le réel et l'imaginaire.

13+

L’émission ne peut être vue, achetée ou louée que par des personnes de 13 ans et plus. Les enfants de moins de 13 ans peuvent y avoir accès s’ils sont accompagnés par un adulte.

La Régie classe dans cette catégorie les films qui nécessitent du discernement. Ces films comportent des passages ou des séquences qui peuvent heurter la sensibilité d’un public plus jeune.

Le public adolescent est davantage conscient des artifices du cinéma et il est psychologiquement mieux armé pour suivre des films plus complexes ou impressionnants. Aussi, la violence, l’érotisme, le langage vulgaire ou l’horreur peuvent y être plus développés et constituer une caractéristique dominante du film. Il importe toutefois que le film permette de dégager le sens à donner aux divers personnages et à leurs actions car, à l’adolescence, les jeunes ne sont pas nécessairement outillés pour faire face à tout. C’est pourquoi certaines thématiques (drogue, suicide, situations troubles, etc.) et le traitement dont elles font l’objet sont examinés avec beaucoup d’attention.

Code de déontologie de l’ACR, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 7 – Contenu dégradant

Les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter un contenu dégradant, qu’il s’agisse de mots, de sons, d’images ou d’autres moyens, qui est fondé sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 9 – Langage et terminologie

Les radiodiffuseurs doivent faire preuve de sensibilité devant le langage ou les expressions dérogatoires ou inappropriés pour faire référence à des individus ou à des groupes en évoquant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental, et éviter ce langage et ces termes.

a) On doit reconnaître et renforcer l’égalité des sexes en employant un langage et des termes appropriés. Les radiodiffuseurs doivent utiliser dans leurs émissions un langage à caractère non sexiste en évitant, dans la mesure du possible, les expressions qui ne s’appliquent qu’à un seul sexe.

b) On comprend que la langue et la terminologie évoluent avec le temps. Certains langages et termes peuvent ne pas convenir lorsqu’on parle de groupes identifiables en évoquant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. Les radiodiffuseurs doivent toujours faire preuve de vigilance en ce qui concerne le caractère adéquat ou inadéquat en constante évolution de certains mots et phrases en tenant compte des normes en vigueur dans la collectivité.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 10 – Facteurs contextuels

Il est justifié que les émissions présentent un contenu qui semblerait autrement contrevenir à une des dispositions précédentes dans les contextes suivants :

[...]

b) À des fins de comédie, d’humour ou de satire : Même si l’intention ou la nature drôle, humoristique ou satirique de l’émission ne justifie pas de façon absolue une dérogation aux dispositions du présent code, il est entendu que certains contenus drôles, humoristiques ou satiriques, même s’ils reposent sur la discrimination ou un stéréotype, peuvent être légers et relativement inoffensifs, plutôt que d’être abusifs ou indûment discriminatoires.

Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et visionné l’épisode en question. Le Comité conclut que V a enfreint l’article 4 du Code de l’ACR concernant la violence, mais qu’il n’a enfreint aucune autre disposition des codes administrés par le CCNR.

Le Comité a noté que cet épisode des Détestables avait été diffusé sans classification. Le Comité a donc vérifié si l’émission pouvait bénéficier d’une des exemptions prévues à l’article 4 du Code de l’ACR concernant la violence. Ayant constaté que tel n’était pas le cas, les membres du Comité ont conclu que V avait enfreint l’article 4 du Code de l’ACR sur la violence en omettant de classifier cet épisode des Détestables. S’étant ensuite demandé quelle classification aurait dû lui être donnée, compte tenu de son caractère léger et anodin, il a opté pour la classification « général ». Le Comité tient à rappeler que, sauf pour les exceptions énumérées à l’article 4 du Code, toutes les émissions doivent être classifiées et codées, quelle que soit la nature de leur contenu, qu’elles contiennent ou non des éléments de violence.

Pour ce qui est des autres points soulevés par le plaignant, le Comité est d’avis que les propos reprochés aux comédiens et comédiennes ne constituent pas des propos « abusifs ou indûment discriminatoires fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental »1 et qu’ils ne sont pas non plus « dégradants »2. Tout au plus sont-ils de mauvais goût. En conséquence, le Comité conclut que le diffuseur n’a enfreint aucune autre disposition citée ci-dessus des codes administrés par le CCNR.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif à l’égard du plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, V a donné une réponse adéquate expliquant son point de vue au plaignant. V ayant rempli son obligation de se montrer réceptif, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part sous réserve de l’annonce de cette décision.

L’ANNONCE DE LA DÉCISION

Le télédiffuseur V est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que Les Détestables, mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir au plaignant qui a présenté la demande de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que V avait enfreint l’article 4 du Code de l’Association canadienne des radiodiffuseurs concernant la violence en omettant de classifier l’émission Les Détestables diffusée le 20 septembre 2012. En vertu de l’article 4, les télédiffuseurs sont tenus de diffuser l’icône de classification appropriée avant le début de la diffusion.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

1 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR en est arrivé aux mêmes conclusions : CITY-TV concernant Beavis and Butt-Head (Décision CCNR 93/94-0074, 22 juin 1994); CFMT-TV concernant un épisode de The Simpsons (Décision CCNR 94/95-0082, 18 août 1995); CILQ-FM concernant The Howard Stern Show (Décision CCNR 99/00-0717 et -0739, 28 juin 2001); et TQS concernant un épisode de Scrap Metal (Décision CCNR 08/09-1711, 11 août 2009).

2 Voir la décision suivante dans laquelle le CCNR en est arrivée aux mêmes conclusions : TVA concernant Les galas « Juste pour rire » 2011 : Le party à Mercier (Décision CCNR 11/12-2033, 23 janvier 2013).