V concernant Face à face (manifestation étudiante)

COMITÉ RÉGIONAL DU QUÉBEC
Décision du CCNR 11/12-1495+
25 avril 2012
D. Meloul (Présidente), G. Moisan (Vice président), G. Bonin (ad hoc), V. Dubois

LES FAITS

Le 22 mars 2012, des étudiants de niveau collégial et universitaire du Québec ont organisé une grande manifestation à Montréal pour exprimer leur mécontentement face à la décision du gouvernement du Québec de hausser les droits de scolarité. Cette manifestation était le principal sujet de l’émission d’affaires publiques Face à Face sur le réseau V, diffusée le même jour à 10h00. Les animateurs de l’émission, Stéphane Gendron et Caroline Proulx, ont interviewé par téléphone Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, la « CLASSE ». Durant le segment de lignes ouvertes de l’émission, les animateurs ont aussi reçu des appels d’auditeurs désirant exprimer leur point de vue sur le sujet.

Le CCNR a reçu au total 914 plaintes concernant cette émission, en grande partie en raison d’une campagne de plaintes lancée sur les médias sociaux. Les plaignants ont fait valoir que les animateurs avaient manqué de respect à l’égard de Monsieur Nadeau-Dubois parce qu’ils l’auraient interrompu continuellement et auraient fait des commentaires déplacés sur le mouvement étudiant. (La transcription complète de cette entrevue est jointe en annexe A).

Le CCNR a retenu deux plaintes, représentatives de l’ensemble des plaintes reçues, et a décidé de statuer sur celles-ci sans exiger des plaignants qu’ils déposent une demande formelle de décision comme le requiert la procédure habituelle. V a répondu aux deux plaignants en faisant remarquer que l’objectif de cette émission est de « générer des discussions et des débats » (Le texte complet de la correspondance relative à ces deux plaintes se trouvent à l’annexe B).

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié les deux plaintes à la lumière des articles suivants du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission-débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Article 7 – Controverses d’intérêt public

Reconnaissant qu’en démocratie il faut présenter tous les aspects d’un sujet d’intérêt public, il incombe aux radiotélédiffuseurs de traiter avec justesse tous les sujets de nature à susciter la controverse. Avant d’accorder du temps à de tels sujets, on devra tenir compte des autres facteurs qui assurent l’équilibre de la programmation ainsi que du degré d’intérêt que ces questions suscitent dans le public. Reconnaissant que la saine controverse est essentielle au maintien des institutions démocratiques, les radiotélédiffuseurs encourageront la présentation de nouvelles et d’opinions sur des sujets controversés qui comprennent une composante d’intérêt public.

Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné l’émission en question. Le Comité conclut que V n’a pas violé les articles 6 et 7 du Code de déontologie de l’ACR.

Monsieur Nadeau-Dubois devait à l’origine se présenter en studio pour cette entrevue, ce qu’il n’a pas fait pour des raisons qui sont les siennes. L’entrevue s’est donc déroulée par téléphone et la communication a même été interrompue pendant quelques minutes à un certain moment. Les membres du Comité, en plus de visionner l’émission, ont également lu la transcription verbatim de celle-ci. Ils ont constaté que les animateurs ont eu beaucoup de difficultés à interviewer Monsieur Nadeau-Dubois, en partie à cause de problèmes de communications, mais aussi parce que ce dernier les interrompait avant qu’ils n’aient formulé leurs questions.

Une des plaintes fait état d’une entrevue « très impartiale [sic], irrespectueuse et fait [sic] dans le but de ridiculisé [sic] l’invité ». Dans l’autre le plaignant note que Monsieur Nadeau-Dubois a été interrompu sans arrêt et qu’il ne pouvait se défendre adéquatement. Il soutient également que la co-animatrice est de mauvaise foi parce qu’elle a répété trois fois le mot « lamentable » en référence au fait qu’elle considérait le mouvement de grève des étudiants comme un échec et « l’attitude provocatrice de M. Gendron […] sont déplorables et […] n’ont pas leur place sur un réseau de télévision majeur ». Il ajoute « les grimaces de se derniers [sic] et la manière dont il sous-entend que M. Nadeau-Dubois a quitté la conversation sont également des marques de son manque de respect ».

L’article 6 du Code de déontologie de l’ACR exige des radiodiffuseurs qu’ils « présentent des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée ». Dans le passé, le CCNR a déterminé que « ce n’est que lorsque les animateurs ont lancé des insultes personnelles empreintes de méchanceté [qu’il] a conclu à une violation de l’article 6 ».[1] En l’espèce, le Comité n’a relevé aucune incidence d’insultes personnelles ou de méchanceté à l’endroit de Monsieur Nadeau-Dubois à quelque moment que ce soit de l’entrevue. Le Comité conclut donc qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.

L’article 7 du même code reconnait quant à lui aux radiodiffuseurs le droit de traiter de sujets susceptibles de soulever la controverse lorsqu’ils sont d’intérêt public. Ce droit comporte aussi le droit, pour les animateurs, de ne pas partager le point de vue des personnes qui sont interviewées, de le faire savoir et de remettre en question leurs positions. Le Comité constate que les animateurs ne partageaient pas le point de vue de Monsieur Nadeau-Dubois sur le mouvement étudiant, la grève en cours et les manifestations organisées au soutien de son idéologie, mais que c’était leur droit de ne pas être d’accord avec la position de ce dernier, de le faire savoir, et même de montrer leur « parti pris et de l’agressivité lorsqu’ils présentent des points de vue et posent des questions aux gens qu’ils interviewent ».[2] Dans le cas sous étude le Comité n’a même pas noté d’agressivité de la part des animateurs, tout au plus quelques gestes d’impatience lorsqu’ils avaient de la difficulté à poser leurs questions. Le Comité conclut donc qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 7 du Code de déontologie de l’ACR.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers les plaignants. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, V a donné une réponse adéquate expliquant son point de vue aux plaignants. Le télédiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. La station à l’égard de laquelle la plainte a été formulée est libre de la rapporter, de l’annoncer ou de la lire sur les ondes. Cependant, là où la décision est favorable à la station, comme c’est le cas dans la présente affaire, celle-ci n’est pas obligée d’annoncer le résultat.

[1] Sun News Network concernant Canada Live (entrevue avec Margie Gillis) (Décision CCNR 10/11-1803+, rendue le 15 décembre 2011). [Voir aussi CHOI-FM concernant Le monde parallèle de Jeff Fillion (Décision du CCNR 02/03-0115, rendue le 17 juillet 2003)].

[2] Idem.