CP24 concernant une entrevue avec Mike Tyson

Comité national des services spécialisés
Décision CCNR 14-15-0071 et -0089
2015 CCNR 3
rendue le 08 avril 2015
A. Noël (présidente), A. Wylie, M. Ziniak, T. Reeb

LES FAITS

CP24 est une chaîne de nouvelles en ondes 24 heures sur 24. Lors d’un segment diffusé le 10 septembre 2014 vers 13 h 50 HE, le journaliste Nathan Downer interviewait l’ex-champion de boxe poids lourd Mike Tyson et son promoteur Alex Choko, de passage à Toronto pour faire la promotion du spectacle solo de monsieur Tyson intitulé « The Undisputed Truth » (L’incontestable vérité).

Au début de l’entrevue, le journaliste fait allusion à une rencontre qui a eu lieu entre Mike Tyson et le maire de l’époque, Rob Ford. L’échange se déroule comme suit :

[Traduction]

N. Downer : Quelques-uns de vos critiques diraient, vous savez, la course à la mairie est ouverte. Étant donné que vous avez été condamné pour viol, cela pourrait nuire à sa campagne. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?

M. Tyson : Hé, je sais pas qui a dit ça. J’ai jamais entendu personne d’autre dire ça. Tu sais ce que je veux dire ? J’ai aucune réponse à ça, sais-tu, parce que c’est négatif et que toi, tu es négatif. Et oui, j’ai… j’ai rencontré le maire.

L’entrevue ne poursuit brièvement, mais bientôt M. Tyson se met à proférer des grossièretés. Il qualifie M. Downer de [traduction] « tas de merde avec ton commentaire ». Le journaliste réagit en disant « hé, voyons, ça c’est… », mais M. Tyson l’interrompt aussitôt : « Non, c’en était vraiment. Alors f*ck you. C’était de la vraie merde ». M. Downer tente de le raisonner : « On passe à la télé, vous savez, on est en direct à la télé. »

Cette dernière intervention a pour but de rappeler à M. Tyson que son langage est inapproprié en plein jour à la télévision. M. Tyson refuse néanmoins de coopérer : [traduction] « Eh, je m’en fous. Qu’est-ce que tu vas y faire? »

M. Downer, choisissant de ne pas mettre fin à l’entrevue, tente d’aborder un autre sujet. La tactique n’a pas le succès escompté. M. Tyson ne tarde pas à s’en prendre de nouveau à lui et le traite à deux reprises de « petite merde ». Voyant qu’il n’arrivera pas à le calmer, le journaliste conclut l’entrevue en remerciant ses invités d’être venus, à quoi M. Tyson répond : « F*ck you » (La transcription du segment complet en anglais figure dans l’annexe A.)

Le CCNR a reçu cinq plaintes de téléspectateurs qui, en raison de la grossièreté du langage utilisé, qualifient d’inappropriée la diffusion en plein jour de cette entrevue en direct, alors qu’il pouvait y avoir des enfants à l’écoute. Deux d’entre eux ont déposé une demande de décision. (La correspondance afférente figure dans l’annexe B, en anglais seulement.)

LA DÉCISION

Le Comité national des services spécialisés a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Article 10 – Télédiffusion

  1. Les émissions à l’intention des auditoires adultes ayant du contenu sexuellement explicite ou comportant du langage grossier ou injurieux ne devront pas être diffusées avant le début de la plage des heures tardives de la soirée, plage comprise entre 21 h et 6 h. [...]

Article 11 – Mises en garde à l’auditoire

Pour aider les téléspectateurs à faire leurs choix d’émissions, les télédiffuseurs doivent présenter des mises en garde à l’auditoire lorsque la programmation renferme des sujets délicats ou, du contenu montrant des scènes de nudité, des scènes sexuellement explicites, du langage grossier ou injurieux ou, d’autre contenu susceptible d’offenser les téléspectateurs, et ce

  1. au début de la première heure, et après chaque pause commerciale pendant la première heure, d’une émission diffusée pendant la plage des heures tardives qui renferme ce genre de contenu à l’intention des auditoires adultes, ou
  2. au début, et après chaque pause commerciale, des émissions diffusées hors de la plage des heures tardives dont le contenu ne convient pas aux enfants.

Les membres du comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et visionné le segment en question. Le Comité conclut que CP24 n’a pas enfreint l’article 11, mais qu’il a effectivement enfreint l’article 10 en diffusant du langage grossier aux heures d’écoute pendant la journée.

La principale question que soulève cet épisode est de savoir si le journaliste aurait dû mettre fin à l’entrevue dès les premières invectives grossières et s’il était bien prudent de sa part de poursuivre l’entrevue en passant à un autre sujet, étant donné l’état d’esprit de son invité. La majorité des membres du comité conclut que le journaliste aurait dû mettre fin à l’entrevue dès la première grossièreté. Un des membres est d’avis que l’entrevue aurait pu se prolonger, mais qu’il appartenait au radiodiffuseur de mettre en place un mécanisme de retardement permettant de supprimer les termes grossiers1. L’ensemble du comité décideur est d’avis que le radiodiffuseur a enfreint l’article 10 du Code de déontologie de l’ACR en diffusant du langage grossier aux heures d’écoute pendant la journée.

L’autre question que soulève cet épisode est le recours aux mises en garde à l’auditoire. Le radiodiffuseur avoue ne pas avoir présenté de mise en garde au cours de l’émission ou quelque avertissement que ce soit concernant l’utilisation potentielle de langage grossier, parce que, dit-il, il ne s’attendait pas à ce que monsieur Tyson réponde à son journaliste par des injures grossières durant une entrevue diffusée en plein jour et en direct.

Les membres du comité décideur conviennent que le radiodiffuseur ne pouvait pas s’attendre à ce que monsieur Tyson se livre à des invectives grossières en plein jour durant une entrevue en direct concernant son spectacle solo. À la différence des mécanismes de retardement qui devraient effectivement toujours être prêts à fonctionner, les mises en garde à l’auditoire doivent être planifiées avant la diffusion et insérées au début de l’émission. Les membres du comité sont d’avis que les présentes circonstances diffèrent considérablement de celles qui prévalaient dans CP24 concernant la 30e Marche des fiertés annuelle2, quand on pouvait raisonnablement s’attendre à des scènes de nudité et du langage grossier. C’est pourquoi les membres du comité décideur concluent que le radiodiffuseur n’a pas enfreint les dispositions de l’article 11 du Code de déontologie de l’ACR en n’insérant pas de mises en garde à l’auditoire au début et au cours de l’émission.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent le degré de réceptivité du radiodiffuseur. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans le cas présent, CP24 a répondu aux plaignants en lui présentant son point de vue sur la diffusion de l’entrevue. Le radiodiffuseur ayant rempli son obligation de se montrer réceptif, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part, sauf pour l’annonce de cette décision.

L’ANNONCE DE LA DÉCISION

CP24 est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute, dans un délai de trois jours suivant sa publication, et une autre fois dans un délai de sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que l’entrevue avec Mike Tyson, mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir aux plaignants qui ont présenté des demandes de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CP24 avait enfreint le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans sa diffusion d’une entrevue avec Mike Tyson le 10 septembre 2014. CP24 a diffusé du langage grossier pendant les heures de la journée, ce qui est interdit par l’article 10 du Code.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

1 Voir CTV concernant l’émission spéciale sur le concert Live 8 (Décision CCNR 04/05-1753, 20 janvier 2006 (disponible en anglais seulement) pour la façon de prévoir l’incidence de langage grossier pendant une émission en direct. Voir aussi TSN concernant une entrevue (Championnat mondial du hockey junior) (Décision CCNR 06-07/0515, 1er mai 2007), disponible en anglais seulement.

2 Voir CP24 concernant la 30e Marche des fiertés annuelle (Décision CCNR 09/10-1834, 11 février 2011.