CKZZ-FM concernant une séquence dans l’émission Kiah & Tara Jean

COMITÉ RÉGIONAL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Décision du CCNR 11/12-0686
4 juillet 2012
S. Warren (présidente), H. Ainsworth, J. Doobay, P. Lawson, O. Mowatt, T. Plasteras

LES FAITS

Kiah & Tara Jean était l’émission de la rentrée à la maison diffusée à l’antenne de CKZZ-FM (Virgin Radio 95.3 FM, Vancouver) les après-midi de semaine, de 15 h à 19 h. Cette émission était animée par Kiah Tucker et Tara Jean Stevens. Durant l’émission du 1er novembre 2011 M. Tucker a fait un appel blague à un cabinet de dentiste. Il a dit à la réceptionniste qui lui a répondu qu’il avait perdu toutes ses dents après avoir mangé ses bonbons de l’Halloween, et a ajouté [traduction] « Je ne peux pas vous mordre, mais je pourrais vous sucer bien comme il faut. » Le nom de la réceptionniste n’a pas été donné en ondes, mais la raison sociale du cabinet l’a été (la transcription intégrale de la séquence se trouve à l’Annexe A, en anglais seulement).

Le responsable du cabinet dentaire en question s’est plaint au CCNR le 29 novembre du fait que la raison sociale du cabinet et la voix de la réceptionniste avaient été diffusées sans qu’il en soit informé et sans permission préalable. Il a également allégué que l’animateur avait fait [traduction] « un commentaire à caractère sexuel » à la réceptionniste, geste qui selon lui devrait être considéré comme exploitant les femmes, contrairement aux dispositions des codes sur la radiotélévision. En outre, il s’est plaint que l’appel avait été fait au numéro réservé aux urgences et qu’il ne convenait pas d’occuper cette ligne pour [traduction] « jouer un tour stupide ».

Dans sa réponse du 21 décembre au plaignant la station s’est excusée de l’avoir offensé, tout en soulignant que la séquence en cause se voulait humoristique et que, puisqu’ils entrent dans la catégorie des double sens et des sous-entendus, les commentaires à l’endroit de la réceptionniste n’ont pas violé les codes.

Le représentant du cabinet de dentiste a déposé sa demande de décision le 3 janvier 2012, en réitérant ses préoccupations et en soulignant que selon les règlements en vigueur au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) les radiodiffuseurs sont tenus d’obtenir la permission avant de diffuser des conversations téléphoniques. Le plaignant a également indiqué qu’il estimait que l’appel en question n’était ni drôle ni approprié. (Le texte intégral de toute la correspondance afférente se trouve à l’Annexe B.)

LA DÉCISION

Le Comité régional de la Colombie-Britannique a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code sur la représentation équitable et du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), ainsi que de l’esprit de l’article 4 du Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées (ASNNR) :

Code de l’ACR sur la représentation équitable, alinéa 8 a) – Exploitation

Les radiodiffuseurs doivent éviter de diffuser des émissions exploitant des femmes, des hommes ou des enfants.

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Code de déontologie de l’ACR, Article 9 – Radiodiffusion

Reconnaissant que la radio est un média local et qu’il reflète par conséquent les normes de la collectivité desservie, les émissions diffusées aux ondes d’une station de radio locale doivent tenir compte de l’accès généralement reconnu à la programmation qui est disponible sur le marché, de la répartition démographique de l’auditoire de la station et de la formule empruntée par la station. Dans ce contexte, les radiodiffuseurs prendront un soin particulier de veiller à ce que les émissions diffusées à l’antenne de leurs stations ne comprennent pas :

[...]

  1. b) du contenu qui est indûment sexuellement explicite
Code de déontologie (journalistique) de l’ASNNR, Article 4 – Vie privée

Les journalistes des services électroniques respecteront la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes avec qui ils traitent; ils mettront tout en œuvre pour s’assurer de manière raisonnable que la collecte d’information et sa diffusion ne constituent en aucune façon une violation de la vie privée à moins que ce ne soit nécessaire dans l’intérêt public. Les techniques clandestines de cueillette de nouvelles ne devraient être utilisées que pour assurer la crédibilité ou l’exactitude de l’information qui soit dans l’intérêt public de diffuser.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la séquence qui fait l’objet de la plainte. Le Comité conclut que CKZZ-FM n’a pas violé l’alinéa 8 a) du Code de l’ACR sur la représentation équitable ou l’alinéa 9 b) du Code de déontologie de l’ACR, mais que la station a violé l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR pour n’avoir pas obtenu de consentement avant de diffuser l’appel blague.

Questions relatives aux activités hors des ondes

Le cabinet dentaire a allégué que l’appel blague de la station de radio a été fait par le biais de son numéro d’urgence. Le CCNR a déclaré dans de nombreuses décisions rendues dans le passé qu’il n’a ni le mandat ni les ressources pour recueillir des preuves ou vérifier les faits se rapportant aux activités hors des ondes.[i] En général, le CCNR n’examine que le contenu qui a été effectivement diffusé. Par conséquent, le Comité ne fait aucun commentaire au sujet de cette question qui n’est pas de son ressort.

Contenu à caractère sexuel et exploitation

Le plaignant se préoccupait entre autres du fait que l’animateur de l’émission ait fait un commentaire à caractère sexuel à la réceptionniste, exploitant envers les femmes notamment [traduction] « Je ne peux pas vous mordre, mais je pourrais vous sucer bien comme il faut. » Le Comité estime que cette déclaration n’a pas nécessairement une connotation sexuelle, bien qu’il reconnaisse que certains auditeurs pourraient l’interpréter de cette façon. En fait, même sa co animatrice Mme Stevens a réagi en disant à M. Tucker de [traduction] « de supplier d’être pardonné pour une telle blague. Je t’ai entendu. J’ai compris ce que tu as dit. »

Même s’il est possible de trouver une connotation sexuelle à cette phrase, elle n’est pas sexuellement explicite au point où elle dérogerait à l’alinéa 9 b) du Code de déontologie de l’ACR. Le CCNR a maintes fois affirmé, dans des décisions antérieures, que pour être déclaré « sexuellement explicite » un commentaire en ondes devait donner une description détaillée d’actes sexuels.[ii] Or, la phrase utilisée par M. Tucker ne répond pas du tout à cette définition.

En outre, on ne peut pas considérer que le commentaire de M. Tucker soit exploitant envers les femmes aux termes de l’alinéa 8 a) du Code de l’ACR sur la représentation équitable puisqu’il n’a présenté personne comme un objet ni représenté l’un ou l’autre sexe de façon inéquitable.[iii]

Vie privée et consentement

Quoique le Code de déontologie de l’ASNNR ne s’applique techniquement qu’aux émissions de nouvelles et d’affaires publiques, le CCNR élargit parfois sa portée, dont celle de l’article 4 sur la vie privée, pour couvrir d’autres genres d’émissions. Le CCNR a retenu l’esprit de l’article 4 sur la vie privée dans certains précédents, tout en s’appuyant sur le libellé plus large de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR concernant la « présentation complète, juste et appropriée » des points de vue, des commentaires, des textes éditoriaux, etc.[iv]

Le Comité de la C.-B. a adopté cette approche dans ce cas-ci. Cependant, il conclut qu’il n’y a pas eu atteinte à la vie privée en l’instance parce que le nom de la réceptionniste a été assourdi.

Par contre, la question du consentement est une toute autre affaire. Le Comité note qu’il est stipulé dans la Partie III du Règlement de 1986 sur la radio que les radiodiffuseurs ne doivent pas diffuser une conversation téléphonique avec une personne sauf si cette personne « a consenti de vive voix ou par écrit au préalable à sa radiodiffusion. » Bien que ce soit le CRTC, et non le CCNR, qui se charge d’administrer ledit Règlement, le CCNR estime que le principe de la présentation « appropriée » du contenu, tel qu’énoncé à l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR, englobe les principes énoncés dans la Partie III du Règlement.[v]

Dans ce dossier, le cabinet dentaire a affirmé que la station de radio n’avait pas obtenu de consentement avant de diffuser le clip audio de l’appel téléphonique, affirmation que CKZZ-FM n’a pas réfutée. Le Comité de la C.-B. juge que la station a enfreint l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR puisqu’elle n’a pas obtenu ce consentement au préalable et a donc présenté ce clip humoristique de façon inappropriée.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CKZZ-FM a répondu au plaignant en lui donnant son point de vue sur l’émission en cause. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

L’Annonce de la décision

CKZZ-FM est tenue 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel il a diffusé Kiah & Tara Jean, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de ces diffusions au plaignant qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CKZZ-FM, Virgin Radio 95.3 a violé le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Le 1er novembre 2011, CKZZ-FM a diffusé un appel blague sans avoir obtenu au préalable le consentement de son interlocuteur. Ce manquement constitue une violation de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision

[i] CTV concernant un épisode de The Shirley Show (Décision du CCNR 93/94-0261, rendue le 18 août 1995); CFSK-TV (STV) concernant un épisode de Friends (Décision du CCNR 95/96-0159, rendue le 16 décembre 1997); TQS concernant Call TV (Décision du CCNR 08/09-1834 et -1856, rendue le 11 août 2009); et CJSB-FM concernant un reportage sur la saisie d’animaux (Décision du CCNR 10/11-1293, rendue le 31 octobre 2011).

[ii] CFMI-FM concernant Brother Jake Morning Show (Wake up Contests) (Décision du CCNR 01/02-0875, rendue le 14 janvier 2003); CIKI-FM concernant une blague dans le cadre de l’émission Tout le monde debout (Décision du CCNR 02/03-0358, rendue le 17 juillet 2003); CFNY-FM concernant une séquence intitulée « Gay Jeff » dans le cadre du Dean Blundell Show (Décision du CCNR 08/09-0700, rendue le 25 juin 2009); et CIHT-FM concernant une séquence intitulée « Josie & The City » diffusée dans le cadre du Morning Hot Tub (Décision du CCNR 08/09-1628, rendue le 25 juin 2009).

[iii] CJKR-FM concernant un concours radiophonique (Nue à bicyclette) (Décision du CCNR 98/99-0476, rendue le 18 novembre 1999); CFMI-FM concernant de l’humour offensant (Dépistage des drogues) (Décision du CCNR 00/01-0811, rendue le 23 janvier 2002); et CIKI-FM concernant une blague dans le cadre de l’émission Tout le monde debout (Décision du CCNR 02/03-0358, rendue le 17 juillet 2003).

[iv] CIQC-AM concernant Galganov in the Morning (Atteinte à la vie privée) (Décision du CCNR 97/98-0509, rendue le 14 août 1998); CFTM-TV (TVA) concernant Tôt ou tard (Décision du CCNR 00/01-1080, rendue le 5 avril 2002); CIKI-FM concernant une blague dans le cadre de l’émission Tout le monde debout (Décision du CCNR 02/03-0358, rendue le 17 juillet 2003); CJMS-AM concernant des commentaires faits dans le cadre de deux épisodes de Le p’tit monde à Frenchie (Décision du CCNR 04/05-0939, rendue le 24 octobre 2005); et CHMP-FM concernant une séquence diffusée dans le cadre de Puisqu’il faut se lever (Décision du CCNR 06/07-0607, rendue le 7 avril 2008).

[v] TVA concernant un reportage diffusé dans le cadre de l’émission J.E. (Décision du CCNR 00/01-0838, rendue le 5 avril 2002); CIKI-FM concernant une blague dans le cadre de l’émission Tout le monde debout (Décision du CCNR 02/03-0358, rendue le 17 juillet 2003); et CISS-FM concernant la diffusion d’un entretien enregistré (Décision du CCNR 03/04-0135, rendue le 10 février 2004).