CJMF-FM et CKOB-FM concernant Doc Mailloux et Josey

COMITÉ DÉCIDEUR FRANCOPHONE
Décision CCNR 1617-0491 et -1305
2018 CCNR 2
30 janvier 2018
A. Noël (présidente), C. Crépin, É. Latour, D. Meloul, A. Wylie

LES FAITS

Doc Mailloux et Josey est une tribune téléphonique animée par Josey Arsenault et le psychiatre Pierre Mailloux. Les animateurs et les interlocuteurs y discutent de relations interpersonnelles et de questions sociales. L’émission occupe les ondes de 9 h 30 à 11 h, du lundi au vendredi. Elle est diffusée sur le réseau de radio Cogeco, notamment par les stations CJMF-FM (FM 93, Québec) et CKOB-FM (106,9fm, Mauricie).

Les radiodiffuseurs diffusent, généralement au début, puis au milieu de l’émission, l’avertissement suivant : « Veuillez noter que l’émission qui suit s’adresse à un public adulte et averti ».

Dans l’émission du 25 octobre 2016, le Doc Mailloux et sa coanimatrice discutent des résultats d’une étude au cours de laquelle on a demandé à des hommes âgés de 21 à 35 ans quelle serait leur réaction si une femme avec qui ils ont entamé un rapprochement refusait d’aller jusqu’au bout et d’avoir des relations sexuelles. Selon l’étude, 30 % des hommes ont avoué qu’ils iraient jusqu’à l’agression s’ils étaient certains que la femme en question ne les poursuivrait pas en justice ou ne les dénoncerait pas publiquement. D’autre part, 50 % des répondants ont déclaré qu’ils trouveraient des moyens de convaincre la femme, par exemple en continuant de l’exciter ou en lui offrant plus d’alcool. Le docteur Mailloux et Mme Arsenault notent que les résultats de cette étude sont « épouvantables », mais le psychiatre insiste pour dire qu’il n’en est pas surpris étant donné qu’un certain pourcentage d’hommes n’ont aucun contrôle sur eux-mêmes lorsqu’ils sont excités sexuellement, et qu’il n’y a rien à faire pour changer leur comportement. Il évoque ce qui se passe chez les animaux, où l’on observe des étalons plus doux et d’autres plus agressifs. Mme Arsenault se demande si l’on ne peut pas enseigner le respect des femmes aux jeunes hommes, mais Doc Mailloux rétorque que ce caractère est inné : « Y a un pourcentage d’hommes qui, lorsqu’ils sont bandés, n’ont pas de jugement ». Il ajoute qu’il faut enseigner aux filles à faire attention et qu’il faut les prévenir du fait que certains hommes ne respecteront pas leur refus de consentement.

Mme Arsenault suggère que les femmes consentent parfois à l’activité sexuelle parce qu’elles craignent pour leur sécurité et non parce qu’elles le désirent vraiment. Des auditeurs font part au téléphone de leurs propres expériences et de leurs opinions. Les propos tenus en ondes par ces auditeurs traitent surtout de « pénétration », « d’accouplement », « d’érection », d’hommes « bandés » et à quelques reprises, de « fellation ».

Lorsqu’un interlocuteur demande comment décoder une femme et savoir si elle souhaite avoir une relation sexuelle, Doc Mailloux répond : « Vous savez qu’est-ce que c’est la lubrification? [...] Vous pouvez mettre la main entre ses deux jambes tranquillement ». Mme Arsenault s’oppose à cette idée : « Mais elle va protester la fille, on met une main dans la culotte, on va recevoir une claque dans face assez vite là! » Mailloux recommande aussi aux femmes de tester leurs partenaires masculins en les excitant pour voir s’ils peuvent résister.

Une auditrice qui a entendu cette émission à l’antenne de CJMF-FM a porté plainte contre ces commentaires le 27 octobre. Elle était d’avis que le docteur Mailloux « justifie les viols, tout simplement » en suggérant que les hommes n’ont aucune responsabilité à cause de leurs pulsions instinctives. Elle a qualifié ces propos de « violents, sexistes et antiféministes ». Pour sa part, le radiodiffuseur n’était pas d’accord et a maintenu que Mailloux ne faisait que donner son opinion sur l’étude en question et qu’il « ne prétend nullement que l’homme n’a aucune responsabilité ».

L’émission du 2 novembre 2016 porte sur le discours de Safia Nolin au Gala de l’Association québécoise de l’industrie du disque, de spectacle, et de la vidéo (ADISQ). La jeune chanteuse s’est présentée au gala vêtue d’un jean et d’un chandail élimé. Lorsqu’elle a été déclarée gagnante, elle est montée sur scène, a prononcé le mot anglais fuck pour exprimer sa surprise, puis a fait un discours contre l’intimidation des femmes. Le Doc Mailloux et Mme Arsenault discutent de la controverse que Mme Nolin a suscitée en posant ces gestes et pourquoi l’affaire a tant fait réagir le public. Les commentaires portent surtout sur le fait que Safia Nolin a choisi de ne pas porter de robe, que son discours était émaillé de mots grossiers et qu’elle encourageait les jeunes filles à « faire ce que vous voulez. [...] Pis aussi votre corps vous appartient ». Les deux animateurs ont diffusé l’extrait du discours de Mme Nolin plusieurs fois, et on a pu y entendre le mot fuck à trois reprises, ainsi qu’à une reprise l’expression « on s’en crisse ».

Doc Mailloux maintient que si Safia Nolin a suscité tant de réactions avec sa sortie, c’est qu’elle contestait les principes du « matriarcat québécois », c’est-à-dire des matriarches québécoises établies. Il critique fortement ces féministes et qualifie les hommes qui partagent leur point de vue sur Safia Nolin d’« hommes féminisés ». Il accuse ces féministes d’intimider Safia Nolin : « Les matriarches québécoises veulent la faire taire en utilisant le mépris ». Il dit aussi que pour être une féministe dure, il « faut être frustrée sexuellement » et « les matriarches québécoises actuelles prônent ouvertement leur rapport dominant-dominé avec les hommes. [...] C’est pas comme ça qu’on va arriver à être une société plus harmonieuse, moins conflictuelle, moins de dépression, moins de tentatives suicidaires. C’est pas la bonne voie, le matriarcat conduit au désespoir, à la stagnation ». Lorsque Josey répond « Mais le patriarcat n’est pas mieux », Mailloux se dit d’accord :« Ça c’est aussi pire, sinon pire ». À un interlocuteur, Mailloux soutient qu’une fille a « le droit, dans une société libre et démocratique de s’affubler de ses plus beaux atours. [...] De ses moins beaux. Elle a le droit aussi! »

La même auditrice a porté plainte contre l’émission du 2 novembre le jour même. Elle écrit que « l’objectif de Mailloux est de ridiculiser, dénigrer et d’insulter les femmes. Mailloux a un agenda masculiniste et il est prêt à tout pour le faire passer. Et Josey Arsenault ne fait rien pour l’arrêter, bien au contraire ». Dans sa réponse, le radiodiffuseur a noté que Pierre Mailloux avait pris la défense de Safia Nolin et qu’il s’en prenait aux points de vue politiques du « matriarcat », pas aux femmes. Il a également noté le fait que Mailloux avait dit que le patriarcat est « aussi pire, sinon pire » : « Il est clair, pour nous, que Pierre Mailloux ne s’attaque pas aux femmes ». Cette auditrice a déposé sa demande de décision concernant les deux émissions le 27 novembre, en maintenant que « la haine et le mépris de Mailloux envers les femmes est perceptible dans ses lignes ouvertes ».

L’émission Doc Mailloux et Josey comprend une chronique intitulée « vendredi intime ». Cette chronique est diffusée tous les vendredis et les deux animateurs y discutent de sujets reliés à la sexualité. Le sujet du jour, le 3 février 2017, était l’épanouissement sexuel féminin. Selon le Doc Mailloux, il y aurait beaucoup de femmes au Québec qui ne se permettent pas d’explorer leurs propres corps pour comprendre leur sexualité. Plusieurs interlocutrices ont téléphoné, au cours de l’émission, pour partager leurs expériences avec moult détails. Mailloux a fait, lui aussi, des commentaires, tels que « prendre la douche téléphone, mettez-vous ça dans la vulve pis attendez que ça fasse agréable. Quel est le pourcentage de femmes qui est capable de prendre une douche téléphone, de s’mettre ça entre les deux jambes et d’apprécier le jet d’eau? » Il y a également des discussions concernant les orgasmes vaginaux et clitoridiens, la masturbation, la pénétration et les orgasmes simultanés des partenaires.

Le 4 février 2017, un auditeur s’est plaint de l’émission diffusée à l’antenne de CKOB-FM, en alléguant qu’elle était trop sexuellement explicite à des heures où des enfants pourraient être à l’écoute. Le radiodiffuseur, dans une réponse datée du 3 mars, a souligné qu’il diffuse toujours un avertissement avant le début de l’émission et qu’en tout état de cause les enfants sont à l’école à l’heure où l’émission est diffusée. Quant aux enfants d’âge préscolaire, le radiodiffuseur soutient dans sa réponse qu’ils ne peuvent « absolument pas comprendre les propos qui sont évoqués ». Cependant, le radiodiffuseur s’est engagé à ce que les avertissements soient diffusés au retour de chaque pause. Le plaignant a déposé sa demande de décision le 21 mars et y a joint copie d’un échange de courriels avec le radiodiffuseur dans lequel il fait valoir que les enfants ne sont pas toujours à l’école le vendredi à cause des journées de congé, que certains épisodes des vendredis intimes s’adressaient spécifiquement aux adolescents, et que ce ne sont pas seulement les vendredis intimes qui renferment du contenu à caractère sexuellement explicite, mais l’émission au complet. Pour sa part, le radiodiffuseur a dit qu’il avait rencontré Doc Mailloux et Josey Arsenault pour leur communiquer la plainte et les encourager à faire des modifications à l’émission.

La transcription complète de ces trois diffusions figure à l’annexe A. Le texte complet de toute la correspondance figure à l’annexe B.

LA DÉCISION

Le comité décideur francophone a étudié la plainte à la lumière des dispositions des suivantes du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), du Code de déontologie de l’ACR et du Code de l’ACR concernant la violence :

Code sur la représentation équitable de l’ACR, article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code sur la représentation équitable de l’ACR, article 4 – Stéréotypes

Reconnaissant que les stéréotypes constituent une forme de généralisation souvent et, de façon simpliste, dénigrante, blessante ou préjudiciable, tout en ne reflétant pas la complexité du groupe faisant l’objet du stéréotype, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne renferment aucun contenu ou commentaire stéréotypé indûment négatif en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de déontologie de l’ACR, article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.

Code de déontologie de l’ACR, article 3 – Stéréotypes sexuels

Reconnaissant que la présentation de stéréotypes sexuels peut avoir des influences négatives, il incombe aux radiotélédiffuseurs de faire preuve, dans toute la mesure de leurs moyens, d’une sensibilité consciente en ce qui concerne les problèmes se rapportant aux stéréotypes sexuels. Pour ce faire, les radiotélédiffuseurs doivent éviter que leur programmation véhicule l’exploitation et s’assureront que leur programmation reflète l’égalité intellectuelle et émotive des hommes et des femmes. Les radiotélédiffuseurs consulteront le Code concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision [remplacé, depuis le 17 mars 2008, par le Code sur la représentation équitable] pour plus de précisions à ce sujet.

Code de déontologie de l’ACR, article 9 – Radiodiffusion

Reconnaissant que la radio est un média local et qu’il reflète par conséquent les normes de la collectivité desservie, les émissions diffusées aux ondes d’une station de radio locale doivent tenir compte de l’accès généralement reconnu à la programmation qui est disponible sur le marché, de la répartition démographique de l’auditoire de la station et de la formule empruntée par la station. Dans ce contexte, les radiodiffuseurs prendront un soin particulier de veiller à ce que les émissions diffusées à l’antenne de leurs stations ne comprennent pas :

a) de violence gratuite sous quelque forme que ce soit ou de contenu qui endosse, encourage ou glorifie la violence;

b) du contenu qui est indûment sexuellement explicite; et/ou

c) du langage qui est indûment grossier et injurieux.

Code de l’ACR concernant la violence, article 7.0 – Violence contre les femmes

7.1          Les télédiffuseurs ne doivent pas présenter d’émissions qui endossent, encouragent ou glorifient quelque forme de violence contre les femmes.

Les membres du comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté les diffusions en question. Le comité conclut que CJMF-FM a enfreint les articles 9(b) et (c) du Code de déontologie de l’ACR et que CKOB-FM a enfreint l’article 9(b) du même code, mais que ni l’une ni l’autre des deux stations n’a enfreint les articles concernant la représentation de groupes identifiables.

Commentaires concernant l’agression sexuelle

L’émission du 25 octobre a consisté à commenter les résultats d’une étude réalisée au Québec auprès de 150 hommes âgés de 21 à 35 ans, étude parrainée entre autres par l’École de criminologie de l’Université de Montréal, qui concluait que 30 % des hommes auraient agressé sexuellement la femme avec qui ils avaient passé une soirée bien arrosée, alors que celle-ci refusait d’avoir une relation sexuelle, s’il n’aurait pas de conséquences.

Le motif principal de la plainte contre cet épisode était que Doc Mailoux minimise le viol sous prétexte que les hommes ne sont pas responsables de leurs instincts sexuels agressifs et qu’il appartient aux femmes de s’en rendre compte et de prendre leurs précautions.

Après avoir passé l’émission en revue, le comité est d’avis que le docteur Mailloux s’efforçait de fournir les observations d’un psychiatre sur les résultats de cette étude. Ses opinions quant à la nature de certains hommes prêtent à discussion, tout comme sa suggestion que les femmes « mettent à l’épreuve » leurs partenaires potentiels. Il n’est pas du ressort du CCNR de juger de la justesse de ces conseils. Le rôle du CCNR est d’évaluer les commentaires tels qu’ils ont été diffusés et il conclut que Doc Mailloux a le droit de donner ses opinions sur le sujet. Il n’a ni endossé, ni encouragé, ni glorifié les agressions sexuelles au sens de l’article 9(a) du Code de déontologie de l’ACR ou de l’article 7.0 du Code de l’ACR concernant la violence.

Droits de la personne et stéréotypes fondés sur le sexe

Au sujet de l’épisode du 25 octobre, le comité observe qu’une bonne part du discours de Mailloux donne l’impression que les hommes auraient tendance à devenir violents dans leurs comportements sexuels, ou tout au moins à exercer la contrainte. Il est toutefois suffisamment clair que ses commentaires se limitent au sujet du jour, à savoir que 30 % des participants à une étude ont répondu affirmativement aux questions sur les relations forcées. Le psychiatre répète à plusieurs reprises au cours de l’émission qu’« un tiers des hommes n’ont pas de jugement lorsqu’ils sont excités sexuellement ». En restreignant ses commentaires de la sorte, il s’assure de ne pas émettre de généralités à propos de tous les hommes, et de ne pas enfreindre les dispositions citées plus haut concernant les droits de la personne et les stéréotypes sexuels.

Les membres du comité décideur se sont ensuite penchés sur la plainte concernant l’émission du 2 novembre, qui porte essentiellement sur la sortie de Safia Nolin au Gala de l’ADISQ. La plaignante a fait valoir que les commentaires du Doc Mailloux s’inscrivaient « dans sa campagne haineuse contre les femmes ». Parmi d’autres critiques à l’égard des féministes, Mailloux avait dit que les féministes sont « des frustrées sexuelles » et que les hommes qui les appuient sont des « hommes féminisés ».

Bien que Doc Mailloux n’ait pas mâché ses mots à l’égard des féministes québécoises, il est clair ici encore que ses commentaires sont dirigés uniquement vers les « féministes » et ne visent pas les femmes en général1, et qu’il parle d’ailleurs d’une catégorie de féministes en particulier (et des hommes qui les appuient) qui s’en est prise à Safia Nolin. À un moment donné dans l’émission, il nomme même trois féministes bien connues qui ont désapprouvé publiquement le comportement de Safia Nolin au Gala de l’ADISQ.

Doc Mailloux approuve au contraire le message que Safia Nolin a livré à toutes les jeunes filles, surtout en disant que la chanteuse avait « le droit, dans une société libre et démocratique de s’affubler de ses plus beaux atours [ou] de ses moins beaux. Elle a le droit! » Il ajoute aussi que « le patriarcat est aussi pire, sinon pire qu’un matriarcat ». Le comité ne trouve donc aucune preuve de l’« agenda masculiniste » allégué par la plaignante.

Les membres du comité notent que les propos du Doc Mailloux au sujet des féministes sont certes provocateurs, outranciers, agressifs et qu’ils manquent de nuances, mais par ailleurs, ils visent un groupe qui soutient certaines idées politiques ou sociales et qui n’équivaut pas à un groupe identifiable.

Le comité conclut donc qu’il n’y a pas eu discrimination envers les femmes ou les hommes au sens des articles 2 ou 3 du Code de déontologie de l’ACR et des articles 2 ou 4 du Code sur la représentation équitable de l’ACR.

Contenu à caractère sexuel

À la lumière de l’article 9(b) du Code de déontologie de l’ACR, les radiodiffuseurs ne doivent pas diffuser de contenu indûment sexuellement explicite. Le CCNR a toujours interprété le terme « explicite » par rapport à l’heure de la diffusion, en déterminant que les commentaires sexuellement explicites n’avaient pas leur place en plein jour ou en début de soirée, tout en jugeant acceptables en tout temps les allusions restreintes et discrètes à la sexualité2.

Les vendredis, Doc Mailloux et Josey abordent généralement un thème sexuel dans une chronique intitulée « vendredi intime ». La chronique du 3 février portait sur l’épanouissement sexuel des femmes et sur le « programme P.I.P.E. », imaginé par Doc Mailloux. Certains auditeurs ont tenté de trouver le sens de cet acronyme et ont envoyé leurs réponses à l’émission. Josey a lu certaines de ces réponses en ondes : « partage, intimité, partenaire, éjaculer » ou encore « plaisir, intimité, pénétration, éjaculation » avant que Mailloux ne révèle les mots qu’il avait en tête : permission, intimité, pratique et exploration. Lui et ses interlocuteurs décrivent des scénarios de nature sexuelle. Par exemple, Mailloux suggère : « prendre la douche téléphone, mettez-vous ça dans la vulve pis attendez que ça fasse agréable. Quel est le pourcentage de femmes qui est capable de prendre une douche téléphone, de s’mettre ça entre les deux jambes et d’apprécier le jet d’eau? »

Les commentaires de nature sexuelle ne se limitent toutefois pas aux vendredis intimes. Ils surgissent en d’autres occasions, comme ce fut le cas le 25 octobre lorsqu’il a été question d’agression sexuelle et de consentement. Si les animateurs s’étaient contentés de lire les résultats de l’étude, il n’y aurait probablement pas eu de problèmes, mais c’est lorsqu’ils se sont mis à les commenter que la discussion a dérapé.

On y parle de façon crue de pénétration, de fellation, d’érection, de masturbation, etc. Le Doc Mailloux va même jusqu’à dire, lorsqu’un auditeur lui demande comment savoir si une femme consent à des relations sexuelles : « Vous savez qu’est-ce que c’est la lubrification? [...] …vous pouvez mettre la main entre ses deux jambes tranquillement ».

Les propos tenus par le Doc Mailloux et sa coanimatrice Josey lors des émissions du 25 octobre et du 3 février et dont certains sont rapportés ci-dessus ne laissent aucun doute dans l’esprit des membres du comité décideur, à savoir qu’ils sont sexuellement explicites.

Les membres du comité décideur rappellent d’autre part que l’émission du Doc Mailloux et Josey est diffusée de 9 h 30 à 11 h, du lundi au vendredi. Bien que la notion de plages de diffusion tardives n’existe pas comme telle en radio, le CCNR, comme il est noté ci-dessus, a établi dans sa jurisprudence que les commentaires sexuellement explicites n’avaient pas leur place à la radio en plein jour.

Le comité reconnaît que le radiodiffuseur a diffusé un avertissement au début et au moins une fois au milieu de toutes les émissions examinées pour les fins de cette décision. À la différence de la télévision, il n’y a aucune disposition du code qui exige des mises en garde à la radio. Donc, bien que le CCNR félicite Cogeco pour avoir pris cette initiative, il rappelle qu’il ne suffit pas de diffuser un avertissement lorsqu’il s’agit d’un contenu sexuellement explicite diffusé pendant les heures de la journée :

Le CCNR a vu des radiodiffuseurs prévenants présenter de temps à autre des mises en garde à leurs auditeurs pour les aider à éviter du contenu qui risque de poser problème. C’est une pratique louable aux yeux du Conseil. La mise en garde n’est cependant pas une défense que peut invoquer le radiodiffuseur pour avoir diffusé de la programmation par ailleurs inappropriée, comme elle le serait dans le cas d’une émission télédiffusée après 21 h3.

Les membres du comité concluent donc, à l’unanimité, que les radiodiffuseurs ont violé l’article 9(b) du Code de déontologie de l’ACR en permettant la diffusion en ondes de contenu sexuellement explicite à des heures d’écoute de la radio durant le jour.

Langage grossier

Comme pour le contenu sexuellement explicite, les radiodiffuseurs ne devraient pas diffuser du langage indûment grossier à des heures où les enfants pourraient être à l’écoute, c’est-à-dire pendant la journée ou tôt dans la soirée.

Dans l’émission du 2 novembre, les animateurs ont fait entendre, à répétition, l’extrait de la soirée de l’ADISQ où Safia Nolin s’exprime ainsi :

Allô. Aye, oiye, c’est weird. Ça fait deux fois que je dis c’est weird. Fuck. Fuck, j’ai dit « fuck »! Euh, ben merci premièrement. Deuxièmement, j’aimerais ça dire rapidement, euh, à toutes les filles du Québec, euh, vous avez le droit de faire ce que vous voulez. Faire la musique. Faire des jobs de gars, on s’en crisse. Pis aussi votre corps vous appartient. Euh, merci à Céline. Je veux pas l’oublier.

Puis ils ont pastiché son discours en l’émaillant à leur tour de « fuck » et de « crisse », sans oublier « calice » et « sacrement ».

Les membres du comité décideur rappellent que la jurisprudence récente du CCNR permet, à certaines conditions, l’utilisation du mot « fuck » dans une émission en français, parce que ce vocable n’a pas la connotation péjorative qu’il a en anglais. Toutefois, le CCNR a bien précisé que l’utilisation de ce mot devait être occasionnelle et ne pas servir d’insulte4. Dans le cas présent, les membres du comité en arrivent à la conclusion que l’utilisation répétée du mot « fuck » ne répond pas aux critères invoqués dans la décision MusiquePlus concernant CTRL (Décision CCNR 15/16-0367, 19 octobre 2016).

Pour ce qui est de l’utilisation des mots « crisse », « calice » et « sacrement » et de leurs dérivés, le comité rappelle que ce genre de langage est banni pendant la journée à la radio5.

Le comité conclut donc que le radiodiffuseur a enfreint l’article 9(c) du Code de déontologie de l’ACR dans l’émission du 2 novembre 2016 en permettant l’utilisation des mots « fuck » et « fuck you » à répétition et des mots «crisse », « calice » et « sacrement » aux heures d’écoute de la radio durant le jour.

Les membres du comité notent que la tournure « je suis fucké » a été utilisé à deux reprises dans l’émission du 3 février. Dans ce cas-ci, les membres du comité concluent que l’utilisation de cette expression était suffisamment limitée pour satisfaire aux critères établis dans la décision citée plus haut.

Réceptivité des radiodiffuseurs

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CJMF-FM et CKOB-FM, sous la gestion de Cogeco, ont envoyé des réponses détaillées et pointues aux deux plaignants. Ces radiodiffuseurs ayant rempli leur obligation de se montrer réceptifs, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de leur part, sauf pour les annonces de cette décision.

ANNONCES DE LA DÉCISION

CJMF-FM est tenu : 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute, dans un délai de trois jours suivant sa publication, et une autre fois dans un délai de sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que Doc Mailloux et Josey, mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir à la plaignante qui a présenté la demande de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CJMF-FM avait enfreint le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans ses diffusions de Doc Mailloux et Josey du 25 octobre et 2 novembre 2016. CJMF-FM a diffusé des commentaires indûment sexuellement explicites et du langage indûment grossier à l’encontre des articles 9(b) et 9(c) dudit code.

CKOB-FM est tenu : 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute, dans un délai de trois jours suivant sa publication, et une autre fois dans un délai de sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que Doc Mailloux et Josey, mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir au plaignant qui a présenté la demande de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CKOB-FM avait enfreint le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans sa diffusion de Doc Mailloux et Josey du 3 février 2017. CKOB-FM a diffusé du contenu indûment sexuellement explicite à l’encontre de l’article 9(b) dudit code.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

1 Voir CHOG-AM concernant l’émission de Shelley Klinck (Décision CCNR 95/96-0063, 30 avril 1996) et CFRA-AM et CHRO-TV concernant le Lowell Green Show (Décision CCNR 98/99-0157+, 17 juin 1999) pour des situations semblables.

2 CKVX-FM concernant des commentaires faits dans le cadre du Pepper and Crash Show (Décision CCNR 02/03-0237, 22 juillet 2003); CHOI-FM concernant Le monde parallèle de Jeff Fillion (Commentaires de nature sexuelle) (Décision CCNR 03/04-0018, 22 avril 2004); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Sexualité adolescente) (Décision CCNR 05/06-1104, 30 juin 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Argent) (Décision CCNR 05/06-1379, 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Sans enfants) (Décision CCNR 05/06-1671, 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant Doc Mailloux (six épisodes) (Décision CCNR 06/07-0168 et -0266, 23 août 2007)

3 CKVX-FM concernant des commentaires faits dans le cadre du Pepper and Crash Show (Décision CCNR 02/03-0237, 22 juillet 2003)

4 MusiquePlus concernant CTRL (Décision CCNR 15/16-0367, 19 octobre 2016) et CKOI-FM concernant des commentaires diffusés dans Les poids lourds du retour et Radio P-Y (Décision CCNR 16/17-1283, 7 novembre 2017)

5 CKAC-AM concernant Doc Mailloux (six épisodes) (Décision CCNR 06/07-0168 et -0266, 23 août 2007); CKRB-FM concernant Prends ça cool ... et Deux gars le midi (Décision CCNR 08/09-0689 et -1228, 11 août 2009); CHOI-FM concernant Dupont le midi (suicide) (Décision CCNR 08/09-2041 et 09/10-1462, 23 septembre 2010), CHOI-FM concernant Dupont le midi (organismes communautaires) (Décision CCNR 08/09-1506, 23 septembre 2010), CHOI-FM concernant Dupont le midi (Haïti) (Décision CCNR 09/10-0854, 23 septembre 2010); CHOI-FM concernant Dupont le midi (patinage artistique) (Décision CCNR 09/10-1257 et -1260, 23 septembre 2010); CHOI-FM concernant Dupont le midi (policiers) (Décision CCNR 13/14-1582, 14 mai 2014)