CIVT-TV (CTV de la Colombie-Britannique) concernant un reportage de CTV News at 11:30 (« Tandoori Fire ») (Incendie dans un restaurant tandoori))

COMITÉ RÉGIONAL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Décision du CCNR 11/12-1317
Rendue le 24 juillet 2012
S. Warren (présidente), H. Ainsworth, J. Doobay, P. Lawson, O. Mowatt, T. Plasteras

LES FAITS

Le 22 février 2012, le journal télévisé de fin de soirée de CTV de la Colombie-Britannique (CIVT-TV) présentait un reportage intitulé « Tandoori Fire » (Incendie dans un restaurant tandoori) dans lequel la chef d’antenne Coleen Christie a informé les téléspectateurs qu’un incendie s’était déclaré dans un restaurant indien de la localité, le Tandoori King. Personne n’a été blessé, mais l’immeuble a été gravement endommagé et les pompiers tentaient toujours de déterminer la cause de l’incendie au moment même du reportage, a-t-elle ajouté. On a également indiqué dans ce reportage que [traduction] « Ce n’est pas la première fois que le restaurant Tandoori King défraie les nouvelles. Voilà plus d’une décennie qu’une querelle amère oppose le propriétaire et son beau-frère, lequel est propriétaire d’un restaurant situé dans le même quadrilatère, du nom de “Original Tandoori King”. » On a ensuite montré des vidéo clips d’entrevues distinctes avec les deux restaurateurs qui ont chacun déclaré qu’ils ne se côtoient plus. (La transcription intégrale du reportage ainsi qu’une description de celui-ci se trouvent à l’Annexe A en anglais seulement.)

Le 1er mars, le propriétaire du restaurant sinistré s’est plaint au CCNR que le reportage présenté par CTV [traduction] « comportait des clips sur une dispute de droit d’auteur qui date de dix ans avec un membre de sa belle-famille et qui a d’ailleurs été réglée il y a déjà longtemps. Ces clips n’avaient aucun rapport avec le reportage sur l’incendie. » Le plaignant a ajouté qu’en soulevant un vieux différend personnel n’ayant aucune pertinence, CTV avait exacerbé le stress que lui avait causé l’incendie. Il a signalé qu’en fin de compte l’incendie avait été attribué à une cause accidentelle et que CTV avait mentionné l’ancienne dispute dans le but teinter son reportage de sensationnalisme [traduction] « pour donner l’impression d’un lien entre l’incendie accidentel et une dispute plus malicieuse, fondée sur de sombres motivations ». Le plaignant a fait référence à plusieurs dispositions du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) et du Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées du Canada (ASNNR) qui, selon lui, auraient été violées dans ce reportage.

Dans la réponse que le réseau CTV a envoyé au plaignant le 9 mars, il a fourni la transcription du reportage en question et a fait valoir qu’il avait inclus le renseignement supplémentaire sur le différent parce qu’il [traduction] « était d’avis que cela était digne d’être signalé dans les nouvelles et intéresserait ses téléspectateurs puisque le restaurant Tandoori King est bien connu de la communauté et avait paru dans les nouvelles dans le passé. » Le réseau a également souligné qu’il avait informé son auditoire le lendemain que l’incendie était considéré comme accidentel.

Le plaignant a réécrit au CCNR le 26 mars en indiquant qu’il n’acceptait pas la justification mise de l’avant par le télédiffuseur parce que [traduction] « cette dispute a été réglée il y a déjà longtemps, mais puisque la chef d’antenne a présenté l’histoire au présent cela donnait l’impression que le conflit n’est toujours pas réglé. » Il a également dit qu’on avait erronément indiqué dans le reportage que l’autre restaurant se trouvait « dans le même quadrilatère » que le sien, alors que ce n’était plus le cas depuis plus d’un an. Il a enfin souligné que le reportage [traduction] « incite les téléspectateurs (qui sont par ailleurs des clients éventuels) à tirer des conclusions négatives quant aux pratiques commerciales du restaurant. » (Le texte complet de toute la correspondance se trouve à l’Annexe B en anglais seulement.)

LA DÉCISION

Le Comité régional de la Colombie-Britannique a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code de déontologie de l’ASNNR et du Code de déontologie de l’ACR :

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 1 – Exactitude

Les journalistes des services électroniques fourniront une information précise, complète et juste concernant des événements et des événements et des enjeux importants d’actualité.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 2 – Égalité

Les journalistes des services électroniques ne rendront compte, à moins que cela ne soit pertinent, d’élément touchant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou l’incapacité physique ou mentale.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 4 – Vie privée

Les journalistes des services électroniques respecteront la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes avec qui ils traitent; ils mettront tout en œuvre pour s’assurer de manière raisonnable que la collecte d’information et sa diffusion ne constituent en aucune façon une violation de la vie privée à moins que ce ne soit nécessaire dans l’intérêt public. Les techniques clandestines de cueillette de nouvelles ne devraient être utilisées que pour assurer la crédibilité ou l’exactitude de l’information qui soit dans l’intérêt public de diffuser.

Code de déontologie de l’ACR, Article 5 – Nouvelles

  1. Il incombe aux radiotélédiffuseurs de présenter les nouvelles avec exactitude et impartialité. Ils doivent s’assurer que les dispositions qu’ils ont prises pour obtenir les nouvelles leur garantissent ce résultat. Ils doivent aussi faire en sorte que leurs émissions de nouvelles n’aient pas le caractère d’un éditorial.
  2. Les nouvelles portant sur un sujet controversé ne seront pas choisies de façon à favoriser l’opinion de l’une des parties en cause aux dépens de l’autre non plus que de façon à promouvoir les croyances, les opinions ou les vœux de la direction, du rédacteur des nouvelles ou de toute autre personne qui les prépare ou les diffuse. En démocratie, l’objectif fondamental de la diffusion des nouvelles est de faciliter au public la connaissance de ce qui se passe et la compréhension des événements de façon à ce qu’il puisse en tirer ses propres conclusions.

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission-débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné le reportage en cause. Le Comité conclut que la diffusion a violé l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR ainsi que les articles 5 et 6 du Code de déontologie de l’ACR, mais qu’elle n’a pas violé les articles 2 et 4 du Code de déontologie de l’ASNNR.

Vie privée

Le Comité de la C.-B estime que le reportage n’a pas porté atteinte à la vie privée des personnes touchées. Il était légitime d’identifier le propriétaire du restaurant incendié. De plus la présentation du vieux clip sur la dispute entre les deux restaurants Tandoori King, n’a pas porté atteinte à la vie privée des deux propriétaires puisqu’il était évident qu’ils avaient tous deux consenti à ces entrevues au moment de leur tournage.

Caractère juste, complet et précis

L’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR exige que les radiodiffuseurs fournissent « une information précise, complète et juste », et l’article 5 du Code de déontologie de l’ACR stipule des exigences semblables quant à l’exactitude, de sorte que le public puisse comprendre les événements et en venir à ses propres conclusions.

Dans la présente affaire, le Comité de la C.-B. considère que les renseignements que CTV a ajoutés au reportage concernant la dispute entre les deux restaurateurs n’étaient ni complets ni justes. Selon le plaignant la dispute dont il est question avait été réglée il y a déjà plusieurs années, or la chef d’antenne en a parlé au présent. De plus, rien dans les vidéo clips des entrevues faites avec les deux propriétaires n’indiquait les dates auxquelles ces clips ont été diffusés à l’origine ou le fait qu’il s’agissait de « séquences d’archives ». En omettant de situer les téléspectateurs dans le contexte, le réseau leur a donné davantage l’impression que le conflit opposait toujours les deux restaurateurs, impression d’ailleurs trompeuse et inexacte qui rend ledit reportage imprécis, injuste et incomplet en vertu de l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR et de l’article 5 du Code de déontologie de l’ACR.

L’inclusion de renseignements de fond non pertinents

De l’avis du Comité, non seulement les renseignements sur la dispute étaient-ils inexacts, injustes et incomplets, ils n’avaient également aucun rapport avec le reportage sur l’incendie.

Le libellé de l’article 2 (Égalité) d’une version antérieure du Code de déontologie de l’ASNNR[1] était plus général et stipulait seulement que les reportages doivent présenter uniquement des renseignements de fond pertinents. Le CCNR a rendu une décision en vertu de cette version du Code dans laquelle son Comité régional de l’Atlantique a conclu qu’un radiodiffuseur avait enfreint l’article 2, qui avait cours à l’époque, parce qu’il a présenté un reportage sur une femme tuée dans un accident d’automobile en ajoutant que celle-ci avait déjà été impliquée dans un accident d’automobile ayant entraîné la mort d’une autre personne.[2] Tout en reconnaissant que le renseignement était exact et que la station ne l’avait probablement pas fourni par malveillance, il a jugé que la mention de l’accident antérieur n’avait aucune pertinence et qu’elle manquait de sensibilité en plus de créer un effet préjudiciable.

En 2000, l’ASNNR a révisé son code et a modifié, entre autres, le libellé de l’article 2 de sorte à préciser les types de renseignements de fond qui seraient considérés non pertinents, notamment ceux se rapportant à la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, etc. Quoique le nouveau libellé de l’article 2 en limite la portée aux aspects se rapportant à l’identité d’une personne, le CCNR aborde d’autres types de renseignements de fond en vertu de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR, lequel exige la présentation « appropriée » des nouvelles en général.

En appliquant donc l’article 6 dans ce dossier, le Comité de la C.-B. conclut que la mention de la dispute entre les deux restaurateurs n’avait aucun rapport avec le reportage sur l’incendie. Le CCNR comprend que cet événement se voulait une nouvelle de dernière heure le 22 février et que les autorités n’avaient pas encore déterminé la cause de l’incendie. Évidemment, il était dans l’intérêt du public de l’informer d’un incendie qui venait d’éclater dans un restaurant de la localité. Il était logique et approprié d’inclure le nom du restaurant et l’endroit où il se situait ainsi que le nom de son propriétaire. Cependant, même s’il y avait eu un intérêt quelconque pour les téléspectateurs de savoir que le propriétaire dudit restaurant avait déjà défrayé les manchettes en raison d’un conflit avec son beau-frère, propriétaire d’un restaurant du même type, dans le même quartier, ce fait n’était ni nécessaire ni pertinent pour le reportage sur l’incendie. Dans le reportage, CTV n’a pas fait de lien direct entre la dispute et la cause de l’incendie, mais le fait de mentionner ce différent pouvait donner aux téléspectateurs l’impression qu’un tel lien existait, d’autant plus que CTV a erronément laissé entendre que cette mésentente était toujours d’actualité alors qu’elle avait été réglée des années auparavant. Cette mention constituait un renseignement de fond non pertinent et était inappropriée aux termes de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CTV de la Colombie-Britannique a répondu au plaignant en lui donnant la transcription intégrale du reportage et une explication de la position de la station sur la question. Le télédiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part à cet égard.

L’Annonce de la décision

CIVT-TV est tenue 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel elle a diffusé le reportage « Tandoori Fire » (Incendie dans un restaurant tandoori) dans CTV News at 11:30, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion au plaignant qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CTV de la Colombie-Britannique a violé le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs et le Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées lorsque ce réseau a diffusé un reportage dans CTV News at 11:30 le 22 février 2012 concernant un incendie qui s’est déclaré dans un restaurant de la localité. Le reportage a enfreint les articles 5 et 6 du Code de déontologie de l’ACR et l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR parce qu’il comportait des renseignements de fond injustes, inexacts et non pertinents au sujet de ce restaurant.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

[1] Anciennement l’Association canadienne des directeurs de l’information radio-télévision (ACDIRT), dont le code reflétait ce nom, cette Association adoptait son nouveau nom et acronyme en 2011, soit l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées du Canada (ASNNR). Lorsque le CCNR s’est chargé d’administrer le Code de déontologie de cette Association, la version de 1986 était en vigueur. L’ASNNR a révisé son Code en 2000 et de nouveau en 2011.

[2] CKEN-AM concernant un bulletin de nouvelles (Décision du CCNR 95/96-0134, rendue le 14 février 1997).