CICI-TV (CTV Northern Ontario) concernant un reportage aux nouvelles (Fiasco d’appareil de chauffage)

comité régional de l’ontario
Décision CCNR 12/13-0558
22 août 2013
H. Hassan (Président), M. Harris, C. McDade (ad hoc), J. Pungente, R. Waksman (ad hoc), A. Wylie

LES FAITS

CICI-TV est la station de CTV qui dessert le nord de l’Ontario à partir de Sudbury. Le 28 novembre 2012, à 18 h 04, dans le cadre de l’émission CTV News at Six, et encore une fois à 23 h 35, au cours de CTV News at 11:30, la station a transmis un reportage concernant les problèmes d’une dame et de son appareil de chauffage.

Aux nouvelles de 18 heures, la présentatrice a introduit le reportage comme suit : [traduction] « Une grand-mère de Sudbury exige des réponses ce soir après le fiasco de son appareil de chauffage » (…after living through a furnace fiasco). La dame de 87 ans racontait ensuite ses déboires avec une entreprise censée avoir nettoyé son appareil de chauffage à peine quelques semaines avant que celui-ci n’émette une épaisse fumée accompagnée de fortes concentrations de monoxyde de carbone. Plus tard dans la soirée, aux nouvelles de 23 h 30, le chef d’antenne a présenté le même reportage en utilisant les mêmes mots.

On apprend, au cours du reportage, que la propriétaire d’une maison à Sudbury avait embauché une entreprise locale pour nettoyer son appareil de chauffage. Un mois plus tard, l’appareil en question se met à cracher une épaisse fumée noire et les pompiers, appelés sur les lieux, déclarent qu’il s’en dégage une concentration dangereuse de monoxyde de carbone. Le reportage comporte une entrevue avec la dame et sa fille qui décrivent la situation. La dame mentionne que les pompiers lui ont proposé une ambulance, qu’elle a refusée. Quand elle a rappelé l’entreprise de chauffage en question pour demander une seconde visite, on lui a répondu que le technicien qui s’était acquitté du nettoyage ne travaillait plus là et qu’elle devrait s’adresser à une autre compagnie. Cette seconde entreprise ayant facturé pour effectuer la réparation, elle a voulu se faire rembourser par la première, mais la dame et sa fille n’ont pas réussi à rejoindre le propriétaire.

Le journaliste raconte ensuite qu’il s’est rendu aux bureaux de la première entreprise d’entretien d’appareils de chauffage pour rencontrer le propriétaire, mais que celui-ci a refusé d’accorder une entrevue. À micros fermés, raconte le journaliste, le propriétaire lui a cependant confié que les appareils de chauffage sont imprévisibles et que les nettoyages ne sont pas garantis. Pendant que le journaliste rapporte ces propos, la caméra est braquée sur l’entrée du bureau, et l’on peut voir à travers la vitre le journaliste qui converse avec le propriétaire. Le journaliste poursuit en disant que le propriétaire a nié qu’une personne de son entreprise aurait recommandé à la dame d’appeler ailleurs et qu’il ne voyait pas pourquoi il paierait pour ce second travail. (On trouvera la transcription complète du reportage et la description des séquences à l’Annexe A, en anglais seulement.)

Le 4 décembre, le CCNR a reçu une plainte du propriétaire de l’entreprise d’entretien d’appareils de chauffage contestant ce reportage pour plusieurs raisons. Le plaignant accuse CICI-TV d’avoir diffusé des informations inexactes, injustes et biaisées, en affirmant par exemple qu’il a refusé d’accorder une entrevue, alors qu’il a tout simplement refusé de s’adresser à la caméra à cause de son manque d’expérience face aux entrevues télédiffusées. Il raconte qu’au cours de sa conversation avec le journaliste, il a expliqué à ce dernier le fonctionnement d’un appareil de chauffage et pourquoi le problème en question n’était probablement pas relié au nettoyage effectué par sa compagnie, autant d’explications que l’on n’entend jamais au cours du reportage. Le plaignant déplore aussi que la station n’ait pas tenté de rejoindre la seconde entreprise d’entretien d’appareils de chauffage pour obtenir son évaluation à elle des causes du mauvais fonctionnement de l’appareil.

Le plaignant critique en outre la station pour avoir créé du sensationnalisme autour du récit en parlant de « fiasco » et d’« alarmes stridentes » (shrieking alarm), en mentionnant l’offre d’une ambulance et en insistant sur le fait que la propriétaire était une grand-mère de 87 ans, laissant ainsi entendre que son entreprise maltraite les personnes âgées alors que l’âge de la personne n’a rien à voir avec les faits.

Enfin, le plaignant déplore que le reportage ait inclus des images de sa conversation avec le journaliste, alors qu’il avait bien précisé qu’il ne voulait pas que son entrevue soit filmée.

CICI-TV a répondu au plaignant le 4 janvier 2013. Le radiodiffuseur n’était pas d’accord avec le plaignant que le reportage ait été biaisé ou qu’il ait fait appel au sensationnalisme. Il a fait valoir que le reportage avait présenté les faits tels quels et que, si la dame avait été présentée comme une grand-mère, c’était pour mieux brosser le portrait du personnage central du récit. Selon lui, le mot « fiasco » n’était pas trop fort pour traduire la situation du point de vue de la propriétaire. CICI-TV a reconnu que le propriétaire de la compagnie avait parlé avec son journaliste une trentaine minutes, même, qu’à son avis, le reportage présentait les deux côtés de la médaille puisqu’il rapportait les commentaires du propriétaire de l’entreprise. Le plaignant a inscrit une demande de décision le 16 janvier en réitérant les motifs de sa plainte et en répliquant point par point aux arguments du radiodiffuseur. (La correspondance complète figure dans l’Annexe B, en anglais seulement.)

LA DÉCISION

Le Comité régional de l’Ontario a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) et du Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées (ASNNR) :

Code de déontologie de l’ACR, Article 5 – Nouvelles

  1. Il incombe aux radiotélédiffuseurs de présenter les nouvelles avec exactitude et impartialité. Ils doivent s’assurer que les dispositions qu’ils ont prises pour obtenir les nouvelles leur garantissent ce résultat. Ils doivent aussi faire en sorte que leurs émissions de nouvelles n’aient pas le caractère d’un éditorial.
  2. Les nouvelles portant sur un sujet controversé ne seront pas choisies de façon à favoriser l’opinion de l’une des parties en cause aux dépens de l’autre non plus que de façon à promouvoir les croyances, les opinions ou les vœux de la direction, du rédacteur des nouvelles ou de toute autre personne qui les prépare ou les diffuse. En démocratie, l’objectif fondamental de la diffusion des nouvelles est de faciliter au public la connaissance de ce qui se passe et la compréhension des événements de façon à ce qu’il puisse en tirer ses propres conclusions.
  3. Rien dans ce qui précède signifie que les radiotélédiffuseurs doivent s’abstenir d’analyser et de commenter les nouvelles. Ils peuvent le faire en autant que leurs analyses et commentaires sont clairement identifiés comme tels et présentés à part des émissions normales de nouvelles. Les radiotélédiffuseurs ont également le droit de présenter des commentaires éditoriaux clairement identifiés comme tels et distincts des émissions normales de nouvelles ou d’analyses.

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 1 – Exactitude

Les journalistes des services électroniques fourniront une information précise, complète et juste concernant des événements et des événements et des enjeux importants d’actualité.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 2 – Égalité

Les journalistes des services électroniques ne rendront compte, à moins que cela ne soit pertinent, d’élément touchant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou l’incapacité physique ou mentale.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 4 – Vie privée

Les journalistes des services électroniques respecteront la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes avec qui ils traitent; ils mettront tout en œuvre pour s’assurer de manière raisonnable que la collecte d’information et sa diffusion ne constituent en aucune façon une violation de la vie privée à moins que ce ne soit nécessaire dans l’intérêt public. Les techniques clandestines de cueillette de nouvelles ne devraient être utilisées que pour assurer la crédibilité ou l’exactitude de l’information qui soit dans l’intérêt public de diffuser.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné le reportage en litige. Le Comité conclut que CICI-TV, en diffusant des informations injustes et incomplètes, a enfreint les articles 5 et 6 du Code de déontologie de l’ACR et de l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR et qu’il a enfreint l’article 4 du Code de déontologie de l’ASNNR en intégrant des images vidéo du propriétaire d’entreprise qui avait expressément demandé à ne pas paraître devant la caméra.

Les membres du Comité décideur ont étudié les arguments très détaillés du plaignant et conclu que plusieurs des points qu’il soulève concernent des événements ou des conversations qui n’ont pas eu lieu en ondes, de même que l’aspect technique du fonctionnement des appareils de chauffage. Le CCNR n’est pas habilité à se prononcer sur ces fait ou ces événements1.

Le Comité note toutefois que le radiodiffuseur reconnaît qu’il y a eu discussion avec le plaignant pendant plus d’une trentaine de minutes, hors ondes. Le journaliste, après avoir déclaré que le propriétaire aurait refusé d’accorder une entrevue, affirme néanmoins que celui-ci a expliqué, hors caméra, que les appareils de chauffage étaient imprévisibles. Le reportage n’explique pas adéquatement le rapport entre la première et la seconde entreprise d’entretien d’appareils de chauffage, et n’explique pas non plus ce qui a mal fonctionné dans l’appareil de chauffage en question. Tous ces éléments, combinés à des images du propriétaire filmé à son insu par la vitre de son bureau, concourent à la présentation d’un reportage injuste et incomplet, qui va à l’encontre des dispositions des articles 5(1) et 6 du Code de déontologie de l’ACR et de l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR2.

Par ailleurs, les membres du Comité estiment que l’utilisation du mot « fiasco » dans le titre du reportage, ou le fait que les journalistes aient mentionné que l’événement impliquait une « grand-mère de 87 ans » ne constituent pas du sensationnalisme, ou un traitement injuste de quelque façon en vertu de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR. La description de cet événement comme étant un « fiasco » dépeint très bien la situation du point de vue de la propriétaire de la maison, et la description qu’en a faite la propriétaire était bel et bien pertinente au reportage3.

De plus, le Comité estime que le radiodiffuseur a violé l’article 4 du Code de déontologie de l’ASNNR en diffusant des images captées à l’insu du plaignant qui avait expressément demandé de ne pas passer devant la caméra. Il s’agit d’une violation de la vie privée, surtout que ces images confirmaient la fausse impression que le plaignant aurait refusé de coopérer avec CTV alors qu’en fait, il s’était entretenu longuement avec le journaliste4.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CICI-TV a répondu à la plupart des arguments du plaignant. Bien que le radiodiffuseur et le plaignant aient eu des points de vue différents et une interprétation divergente du reportage diffusé par la station, le radiodiffuseur n’en a pas moins rempli son obligation d’être réceptif. Il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part, sauf pour l’annonce de cette décision.

L’ANNONCE DE LA DÉCISION

CICI-TV (CTV Northern Ontario) est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute, dans un délai de trois jours suivant sa publication, et une autre fois dans un délai de sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que les reportages ont été diffusés (c.-à-d., une fois pendant le bulletin de nouvelles de 18 h et une fois pendant le bulletin de nouvelles de 23 h 30), mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir au plaignant qui a présenté la demande de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CTV Northern Ontario avait enfreint les codes de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs et de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées le 28 novembre 2012, lors d’un reportage diffusé dans le cadre de son émission de nouvelles concernant un appareil de chauffage défectueux. Le reportage, parce qu’il comportait des informations injustes et incomplètes, a enfreint les articles 5 et 6 du Code de déontologie de l’ACR et l’article 1 du Code de déontologie de l’ASNNR. CTV a également enfreint l’article 4 du Code de l’ASSNR en diffusant des images d’une personne qui avait expressément demandé à ne pas paraître devant la caméra.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

1 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR explique qu’il n’a ni les ressources ni le mandat pour enquêter sur des plaintes concernant des événements hors ondes, ou exigeant une connaissance spécialisée sur un sujet : CFTO-TV concernant World Beat News (Pollution) (Décision CCNR 92/93-0178, 17 mai 1993); CFRN-TV concernant Eyewitness News (Décision du CCNR 96/97-0149, 16 décembre 1997); CKVR-TV concernant un reportage (Difficultés avec une voiture) (Décision CCNR 97/98-0235, 28 juillet 1998); CIII-TV (Global Ontario) concernant des reportages de Global News (« Danger aux Falaises ») (Décision CCNR 05/06-0500, 18 mai 2006); et CHCH-TV concernant un reportage diffusé dans le cadre de CHCH News (accident routier) (Décision CCNR 09/10-1457, 12 novembre 2010).

2 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR a dû trancher des cas impliquant une injustice ou un manque de compréhension : CTV concernant W5 (« Guerre des gazons ») (Décision CCNR 95/96-0187, 21 octobre 1996); CIII-TV (Global Ontario) concernant des reportages de Global News (« Danger aux Falaises ») (Décision CCNR 05/06-0500, 18 mai 2006); et CFTO-TV (CTV de Toronto) concernant un reportage diffusé dans le cadre de CTV News at Six (voie d’accès automobile) (Décision CCNR 06/07-1301, 14 avril 2008).

3 Voir les décisions suivantes du CCNR où il est question de sensationnalisme : CFRN-TV concernant Eyewitness News (Décision CCNR 96/97-0149, 16 décembre 1997); CKCO-TV concernant un bulletin de nouvelles (Disparition) (Décision CCNR 00/01-0739, 28 juin 2001); CIII-TV (Global Toronto) et CHCH-TV concernant des diffusions d’une radiotransmission faite par la police (Décision CCNR 10/11-2040 et -2187, 7 mars 2012); et CITY-TV et CFTO-TV (CTV Toronto) concernant des diffusions d’une radiotransmission faite par la police (Décision CCNR 10/11-2185 et -2186, 7 mars 2012).

4 Voir les décisions suivantes du CCNR concernant des enregistrements clandestins : TVA concernant un reportage diffusé dans le cadre de l’émission J.E. (Décision CCNR 00/01-0838, 5 avril 2002); et CHEK-TV concernant un reportage (Différend entre propriétaire et locataire) (Décision CCNR 03/04-0712, 14 octobre 2004).