CHOT-DT concernant La Voix

comité régional du québec
Décision CCNR 14/15-0831
2016 CCNR 1
13 janvier 2016
D. Meloul (présidente), M. Arpin, A. Noël, T. Porrello, A. Wylie

LES FAITS

La Voix est un télé-crochet dans lequel les candidats font des auditions à l’aveugle, c’est-à-dire que les membres du jury ne font qu’entendre leurs voix; ils ne voient pas les candidats tant qu’ils ne les ont pas choisis pour leurs équipes. Les membres du jury sont des chanteurs et musiciens du Québec. On les appelle des « coachs ». Chaque coach choisit des candidats pour former son équipe. Si plus d’un coach veut un candidat en particulier, c’est au candidat qu’il revient de choisir son équipe.

Après chaque présentation des candidats, les coachs commentent les forces et les faiblesses du candidat.

L’émission a été diffusée sur le réseau TVA, tant sur les ondes des stations régionales propriétés de TVA que sur les ondes des stations affiliées dont TVA n’est pas propriétaire, mais qui appartiennent à d’autres entreprises de radiodiffusion. À Gatineau, Québec, la programmation de TVA est disponible sur les ondes de CHOT‑DT, une station propriété de RNC Média, qui est liée par une entente d’affiliation au réseau TVA.

Le 18 janvier 2015 à 19 h 30, CHOT-DT diffuse le premier épisode de la troisième saison de l’émission. L’épisode dure deux heures. Les coachs sont Marc Dupré, Isabelle Boulay, Éric Lapointe et Pierre Lapointe. Il n’y a aucune mise en garde à l’auditoire. Il y a trois instances de langage grossier, dans les commentaires des coachs.

Dans un montage de clips dans lequel on montre ce qui est à venir durant la saison qui commence, on entend Pierre Lapointe dire à une candidate : « J’sais pas c’est qui qu’t’as dans ton lit, mais yé chanceux en tabarnac’! » Le deuxième écart de langage se trouve pendant l’épisode lui-même : après la performance d’une chanteuse, Éric Lapointe lui dit, « T’es t’un feu d’artifice, ʼostie! » Enfin, après la chanson d’un autre candidat, Éric Lapointe déclare: « Écoute, j’ai été aspiré dans ton univers. Je me force pour pas avoir l’air d’un homme, d’un pas de classe, pour parler bien et tout ça, mais là, tabarnac’, t’es bon en ʼostie! »

Le 19 janvier, un auditeur de CHOT-DT s’est plaint de l’utilisation de langage grossier dans l’émission, et plus particulièrement du dernier commentaire d’Éric Lapointe. Le plaignant se préoccupe du fait que les enfants sont encore à l’écoute à cette heure et, soutient que l’émission étant préenregistrée, le télédiffuseur aurait dû enlever les propos offensants.

CHOT-DT répond au plaignant le 13 février. D’entrée de jeu la station explique qu’elle ne fait que retransmettre le signal de TVA et qu’elle a demandé l‘assistance du réseau TVA pour préparer sa réponse. Cette réponse souligne que « TVA n’a aucun contrôle sur les réactions spontanées des participants et des Coachs qui, à l’occasion, pourraient lâcher des sacres par inadvertance [...]. Il s’agit de réactions tout à fait humaines et souvent incontrôlables. » Le télédiffuseur insiste également pour souligner que le langage d’Éric Lapointe n’est pas représentatif du langage général de l’émission et qu’il s’agit plutôt d’un cas isolé. Selon la réponse du télédiffuseur, « il est clair que les sacres ne sont aucunement monnaie courante dans l’émission et qu’un avertissement n’était par conséquent pas nécessaire ».

Le plaignant dépose sa demande de décision le 14 février. Il note qu’il comprend que CHOT-DT n’a fait que retransmettre l’émission en provenance du réseau TVA, mais il souligne que la diffusion n’était pas en direct et que, soit TVA, soit le producteur de l’émission, aurait dû supprimer les sacres au moment du montage final de l’émission. Selon lui, le commentaire d’Éric Lapointe « a été prononcé de façon réfléchie et non par inadvertance au cours d’une conversation. » Le plaignant note également que l’émission est très populaire et que des enfants de tous âges sont à l’écoute; la station « démontre clairement qu’elle n’a aucune considération pour ce vaste auditoire ».

Le télédiffuseur soumet une autre lettre au CCNR le 5 octobre réitérant sa position : la plainte « porte uniquement sur l’emploi d’un seul sacre dans l’émission » et l’émission ne renferme pas de langage grossier à répétition. De plus, l’émission s’adresse à un large public et a atteint des cotes d’écoute record. RNC Média ajoute qu’elle n’a jamais reçu d’autres plaintes relatives au niveau de langage de cette émission au cours des saisons précédentes et suggère que le CCNR devrait apprécier le contexte de l’émission en général et non se concentrer uniquement sur les sacres présents dans le cadre de cet épisode. Il est à noter que cette deuxième réponse a également été préparée par le réseau TVA. (La correspondance complète figure dans l’annexe.)

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Article 10 – Télédiffusion (Mise à l’horaire)

  1. Les émissions à l’intention des auditoires adultes ayant du contenu sexuellement explicite ou comportant du langage grossier ou injurieux ne devront pas être diffusées avant le début de la plage des heures tardives de la soirée, plage comprise entre 21 h 00 et 6 h 00. [...]

Article 11 – Mises en garde à l’auditoire

Pour aider les téléspectateurs à faire leurs choix d’émissions, les télédiffuseurs doivent présenter des mises en garde à l’auditoire lorsque la programmation renferme des sujets délicats ou, du contenu montrant des scènes de nudité, des scènes sexuellement explicites, du langage grossier ou injurieux ou, d’autre contenu susceptible d’offenser les téléspectateurs, et ce

  1. au début de la première heure, et après chaque pause commerciale pendant la première heure, d’une émission diffusée pendant la plage des heures tardives qui renferme ce genre de contenu à l’intention des auditoires adultes, ou
  2. au début, et après chaque pause commerciale, des émissions diffusées hors de la plage des heures tardives dont le contenu ne convient pas aux enfants.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné l’émission en question. Le Comité conclut que CHOT-DT a violé les dispositions de l’article 10 du Code de déontologie de l’ACR en diffusant une émission contenant du langage grossier avant la plage des heures tardives de la soirée et les dispositions de l’article 11 en ne diffusant pas de mises en garde appropriées à l’auditoire.

Heure de diffusion du langage grossier et mises en garde à l’auditoire

Comme mentionné plus haut, les membres du Comité décideur ont relevé non pas une, mais trois instances de langage grossier dans la diffusion de l’émission La Voix du 18 janvier 2015, émission diffusée à 19 h 30, non seulement sur CHOT-DT, mais aussi sur toutes les stations du réseau TVA, soit bien avant la plage des heures tardives, et ce, sans modifier les mots en question et sans diffuser de mises en garde à l’auditoire.

Le Comité reconnaît que l’utilisation des mots « tabarnac’ » et « ʼostie », hors d’un contexte religieux, a peut-être perdu un peu de son caractère blasphématoire pour une partie de la société civile mais il comprend également que certaines personnes, comme le plaignant, soient choquées d’entendre ce genre de commentaires, surtout en présence d’enfants.1

D’autre part, le Comité est d’avis, tout comme le télédiffuseur, que, si ce n’était du langage grossier, l’émission La Voix se qualifierait comme émission destinée à un auditoire familial.

Toutefois, comme il ressort de plusieurs décisions antérieures du CCNR, le Conseil a toujours trouvé ce genre de propos inacceptable.2 Le Comité en vient donc à une conclusion simple : on ne peut diffuser ce genre de propos avant la plage des heures tardives, soit 21 heures. Le télédiffuseur avait le choix de diffuser l’émission avant 21 heures en coupant les mots faisant problème, ou de la diffuser à compter de 21 heures en diffusant les mises en garde appropriées.

En diffusant l’émission, sans couper le langage grossier, à 19 h 30, le télédiffuseur a violé les dispositions de l’article 10 du Code de déontologie de l’ACR. De plus, en ne diffusant pas les mises en garde appropriées, le radiodiffuseur a également violé les dispositions de l’article 11 du Code de déontologie de l’ACR.

L’article 11 du Code de déontologie de l’ACR a justement pour objectif d’aider les téléspectateurs à faire leurs choix d’émissions en les avertissant avant le début de la diffusion et au retour des pauses publicitaires du contenu comportant, notamment, du langage grossier susceptible de les offenser et qui ne convient pas aux enfants, particulièrement lorsque la diffusion a lieu avant la plage des heures tardives.3

Affiliation à un réseau

RNC Média Inc. a également fait valoir, dans sa réponse au plaignant, que CHOT-DT, station dont elle est propriétaire, est une station affiliée au réseau TVA, et, qu’aux termes de son entente d’affiliation, elle ne peut unilatéralement modifier le contenu d’une « émission réseau ». Le Comité note que la règle générale veut qu’un radiodiffuseur soit responsable des contenus qu’il diffuse et en conséquence RNC Média, propriétaire de CHOT-DT ne peut échapper à cette responsabilité.

Toutefois, cette responsabilité devrait probablement être mitigée, dans le cas d’une entente d’affiliation où certaines plages de diffusion, prédéterminées, sont réservées aux émissions en provenance du réseau, et ce, à l’aune de certains textes, dont la définition de « réseaux » qu’on retrouve à l’article 2 de la Loi sur la radiodiffusion, des définitions de « contrat d’affiliation » et d’« exploitant de réseau » qu’on retrouve à l’article 2 du Règlement de 1987 sur la télédiffusion ainsi que l’Avis public CRTC 1989-2 du 10 janvier 1989 portant sur la Politique en matière de réseaux de télévision où on peut lire :

la définition de « réseau » donnée dans la Loi implique que les radiodiffuseurs peuvent déléguer le contrôle de la totalité ou d’une partie d’une émission ou de la grille-horaire à une autre partie, nommément un exploitant de réseau autorisé. Le Conseil estime que le contrôle éditorial est essentiel à l’établissement du « contrôle » mentionné dans la définition de « réseau » donnée dans la Loi. Le contrôle éditorial est donc un critère déterminant de l’existence d’un réseau. Il faut noter qu’il existe deux genres distincts de contrôle éditorial : le pouvoir de réviser ou de modifier le contenu d’une émission et le pouvoir de décider de diffuser ou non une émission. » (les soulignés sont les nôtres)

Dans le présent dossier, le Comité décideur s’interroge donc sur la pertinence de faire reposer toute la responsabilité du contenu de l’émission sur les épaules de CHOT-DT alors que ce contenu provenait du réseau TVA et que CHOT-DT ne pouvait ni l’altérer, ni refuser de le diffuser aux termes de l’entente d’affiliation la liant au réseau TVA.

CHOT-DT a bien tenté de donner une réponse satisfaisante au plaignant, sans avoir en mains les éléments lui permettant de le faire. Dans ce contexte, le Comité décideur est d’avis qu’à l’avenir les plaintes portant sur des émissions réseau pourraient être traitées de façon plus efficace directement par le réseau et non par les stations affiliées.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CHOT-DT, n’ayant aucun contrôle sur le contenu de l’émission, s’est tournée vers le réseau TVA pour l’aider à répondre au plaignant. La réponse préparée par le réseau TVA a été retranscrite par CHOT-DT et envoyée au plaignant. À cet égard, CHOT-DT a rempli son obligation de se montrer réceptif, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part, sauf pour l’annonce de cette décision.

L’ANNONCE DE LA DÉCISION

CHOT-DT est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute, dans un délai de trois jours suivant sa publication, et une autre fois dans un délai de sept jours suivant sa publication, dans le même créneau horaire que La Voix, mais pas le même jour que la première annonce; 2) de faire parvenir au plaignant qui a présenté la demande de décision, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de son exécution; et 3) au même moment, de faire parvenir au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces, qui seront formulées comme suit :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CHOT-DT a enfreint le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans le cadre de sa diffusion de l’émission La Voix le 18 janvier 2015. L’émission comportait du langage grossier et n’aurait pas dû être diffusée avant 21 h aux termes de l’article 10 du code. De plus, aucune mise en garde n’a été diffusée, en violation des dispositions de l’article 11 du même code.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

1 Voir l’article 5(1)c) du Règlement de 1987 sur la télédiffusion interdisant à un titulaire de licence de diffuser tout langage ou toute image obscènes ou blasphématoires.

2 Voir les décisions TQS concernant un épisode de Scrap Metal (Décision CCNR 08/09-1711, 11 août 2009); TVA concernant La Série Montréal-Québec (Décision CCNR 10/11-0781, 14 juillet 2011); TVA concernant Juste pour rire : Le gala hommage à Denise Filiatrault (Décision CCNR 11/12-0977, 8 août 2012) et TVA concernant Les jeunes loups (Décision CCNR 13/14-0808, 10 septembre 2014) dans lesquelles le CCNR est venu aux mêmes conclusions.

3 WTN concernant le long métrage Wildcats (Décision CCNR 00/01-0964, 16 janvier 2002); Showcase Television concernant The Cops (Décision CCNR 01/02-1076, 28 février 2003); Showcase Television concernant le long métrage Frankie Starlight (Décision CCNR 02/03-0682, 30 janvier 2004); TQS concernant un épisode de Scrap Metal (Décision du CCNR 08/09-1711, 11 août 2009); TVA concernant La Série Montréal-Québec (Décision CCNR 10/11-0781, 14 juillet 2011); TVA concernant Juste pour rire : Le gala hommage à Denise Filiatrault (Décision CCNR 11/12-0977, 8 août 2012); et TVA concernant Les jeunes loups (Décision CCNR 13/14-0808, 10 septembre 2014).

ANNEXE

La plainte

Le CCNR a reçu la plainte suivante par l’entremise de son formulaire Web le 19 janvier 2015 :

Station de télévision ou de radio : TVA

Titre de l'émission ou le nom de la personnalité des ondes en cause : Réseau TVA et Éric Lapointe, Émission La Voix

Date de la diffusion de l'émission : 18 janvier 2015

Heure : 19:30

Préoccupation précise :

Je dépose par la présente une plainte au sujet de l'émission La Voix au réseau TVA hier soir à 19:30.

M. Éric Lapointe, l'un des coach, dans l'une de ses envolées a lancé de façon réfléchie et de toutes ses forces un retentissant – TABARNACK – vers 19:45, alors que les enfants sont encore à l'écoute. C'est grossier, offensant et inacceptable. Comme cette émission est préenregistrée, je blâme TVA par respect pour ses auditeurs, de ne pas avoir eu la décence de corriger la situation au montage définitif de l'émission.

La réponse du télédiffuseur

RNC Media, propriétaire de CHOT-DT (station affiliée à TVA à Gatineau), a répondu au plaignant le 13 février :

Le Conseil canadien des normes de la radiodiffusion [sic] (CCNR) nous a transmis, pour analyse et réponse, votre plainte datée du 19 janvier 2015 portant sur l’émission La Voix diffusée sur les ondes du réseau TVA le 18 janvier 2015. Comme RNC MEDIA est un retransmetteur du signal de TVA, nous avons requis son assistance dans la préparation de la présente réponse.

Nous prenons bonne note de vos commentaires et du fait que l’emploi du mot « tabarnac’ » par M. Éric Lapointe dans le cadre de l’émission a pu vous faire réagir. Soyez assuré que nous traitons avec beaucoup de sérieux toutes les plaintes de nos téléspectateurs. Nous considérons cependant que, dans les circonstances présentes, aucune contravention aux codes supervisés par le CCNR n’est survenue, et ce, pour les raisons ci-après explicitées.

Comme vous le savez, l’émission La Voix est une émission de téléréalité dans laquelle s’opposent à chaque semaine des participants qui rivalisent de talent et d’originalité pour franchir les cinq étapes menant des auditions à l’aveugle jusqu’à la grande finale, le tout sous la supervision des quatre Coachs de l’émission et avec l’aide ponctuelle de mentors issus du milieu de la musique québécoise. Chacune des étapes à franchir représente un moment chargé en émotions, tant pour le public que pour les participants et les Coachs. Les émotions des Coachs sont d’ailleurs exprimées spontanément, à l’issue des performances des participants.

Par ailleurs, et bien que l’émission soit enregistrée à l’avance à cette étape, l’action n’est aucunement scénarisée de sorte que TVA n’a aucun contrôle sur les réactions spontanées des participants et des Coachs qui, à l’occasion, pourraient lâcher des sacres par inadvertance, ce qui n’est certes pas inhabituel dans les circonstances ci-avant décrites. Il s’agit de réactions tout à fait humaines et souvent incontrôlables. Il ne faut d’ailleurs pas s’en surprendre dans des téléréalités dont l’objectif est de livrer au public des expériences authentiques et fidèles à la réalité vécue par les participants et les Coachs. Dans le cas faisant l’objet de votre plainte, vous notez qu’à une reprise M. Éric Lapointe utilise un sacre dans le cadre de l’émission. Or, selon la jurisprudence du CCNR, il faut considérer tout le contexte de l’émission afin de déterminer si cette dernière contient un niveau de langage inapproprié devant faire l’objet d’un avertissement à l’auditoire. Or, selon notre analyse, le sacre employé par M. Lapointe n’est aucunement représentatif du niveau de langage général de l’émission. Il s’agit plutôt d’un incident isolé et qui est d’ailleurs souligné par M. Lapointe puisqu’il indique juste avant qu’il faudrait en principe utiliser un langage correct à la télévision. Ce faisant, il est clair que les sacres ne sont aucunement monnaie courante dans l’émission et qu’un avertissement n’était par conséquent pas nécessaire.

Notons de plus et à tout événement que, selon la jurisprudence du CCNR, les sacres ont perdu pour la majorité des gens leur signification religieuse et font désormais, à tort ou à raison, partie du paysage linguistique au Québec.

RNC MEDIA est très consciente de ses devoirs et obligations en vertu des Codes supervisés par le CCNR. Cependant, dans les circonstances présentes, il nous apparaît que l’émission La Voix du 18 janvier 2015 n’a enfreint aucun des Codes supervisés par le CCNR. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous faire part de vos préoccupations et sommes désolés si cette émission a pu vous indisposer.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur [R.], l’expression de nos salutations les plus distinguées.

Correspondance supplémentaire

Le plaignant a déposé sa demande de décision le 14 février :

J'accuse réception de la réponse de RNC MEDIA concernant ma plainte.

Comme l'affirme [le président et chef de la direction] de RNC MEDIA, je prends note du fait que cette entreprise n'est en fait qu'un transmetteur du signal de TVA et n'a par conséquent rien à voir avec la production et ou la télédiffusion originale de cette émission. C'est pour cette raison que [le président] dit qu'il a requis l'assistance de TVA pour la préparation de sa réponse. Je note également que, dans ses propos, [le président] ignore totalement le producteur de cette émission, à savoir Les Productions J, si mes informations sont exactes.

Bien sûr, [le président] mentionne gentiment qu'il prend bonne note de mes commentaires et que toutes les plaintes sont traitées avec beaucoup de sérieux, en enchaînant immédiatement avec la phrase suivante : « Nous considérons cependant que, dans les circonstances présentes, aucune contravention aux codes supervisés par le CCNR n'est survenue, et ce pour les raisons ci-après expliquées. »

Je n'ai pas l'intention de reprendre ici toutes les tentatives explicitées par [le président] pour tenter de justifier le comportement du producteur et du télédiffuseur dans cette malheureuse affaire.

D'abord je vous rappelle que ma plainte se lit ainsi après avoir expliqué ce qui s'est passé au cours de l'émission : comme cette émission est préenregistrée, je blâme TVA, par respect pour ses auditeurs, de ne pas avoir eu la décence de corriger la situation au moment du montage final de l'émission.

Or, [le président] s'évertue à tenter de justifier le comportement des Coachs comme si l'émission avait été diffusée en direct. De plus, pour tenter de justifier ses propos, il compare cette émission à une émission de téléréalité alors que tout semble permis sans restriction.

Pourtant, sur son site internet, le producteur de cette émission, Les Productions J, définit ainsi cette émission : La Voix est un concours de chant à grand déploiement et la voix des candidats est le seul critère qui sert à choisir le plus grand talent au Québec.

Téléréalité? Peut-être!

De toute façon, téléréalité ou non, rien ne peut justifier l'inertie et la négligence du producteur et du télédiffuseur au moment du montage de l'émission, puisqu'il aurait suffi de supprimer le seul mot prononcé à ce moment-là par ledit Coach, aucune conversation n'étant encore engagée avec la candidate [sic] qui venait à peine de terminer sa prestation.

Contrairement aux prétentions de [le président], il est évident que ce mot a été prononcé de façon réfléchie et non par inadvertance au cours d'une conversation. Comme le dit le dicton, et connaissant les habitudes de ce coach, chassez le naturel et il revient au galop.

Par ailleurs, [le président] pousse un plus loin sa réflexion en affirmant que désormais les sacres font partie du paysage linguistique au Québec. C'est simplement une déclaration ahurissante.

Je vous rappelle que l'émission La Voix a la plus forte d'écoute au Québec, de l'ordre de 2,5 à 2,7 millions de téléspectateurs et que l'incident dont il est question ici s'est produit vers 19:45 hres, alors que les enfants de tous âges sont à l'écoute pour entendre et visionner un concours de chant.

En faisant une telle déclaration, [le président] démontre clairement qu'il n'a aucune considération pour ce vaste auditoire. En fait, il m'apparaît que [le président] semble confondre les spectacles d'humoristes de bas niveau avec l'émission La Voix. C'est dommage.

Enfin [le président] conclut en réaffirmant ce qu'il a dit au tout début de sa réponse. À savoir que l'émission La Voix du 18 janvier 2015 n'a enfreint aucun des codes supervisés par le CCNR.

Pour toutes ces raisons, je considère que la réponse [du président] est inadéquate et inacceptable dans son ensemble et c'est pourquoi je fais la présente demande de décision de la part du CCNR.

Le CCNR a envoyé le 5 octobre 2015 un avis au télédiffuseur concernant la réunion du Comité du Québec et l’a donné l’occasion d’ajouter plus de renseignements ou commentaires s’ils le veulent. Le télédiffuseur a soumis la réponse suivante au CCNR le 20 octobre :

Nous faisons suite à votre courriel daté du 5 octobre 2015 nous informant que les membres du Comité décideur du CCNR se pencheront sur la plainte contre CHOT-DT dans le dossier 14/15-0831 au sujet de l’émission La Voix lors de leur réunion du 21 octobre 2015 et nous invitant à communiquer toute information supplémentaire que RNC MEDIA jugerait utile au traitement de cette plainte.

D’entrée de jeu, RNC MEDIA réitère la position exprimée dans sa lettre de réponse [au plaignant] datée du 13 février 2015. Elle rappelle aussi que la plainte formulée par ce dernier porte uniquement sur l’emploi d’un seul sacre dans l’émission La Voix du 18 janvier 2015, soit l’emploi du mot « tabarnak » par M. Éric Lapointe à la suite d’une performance enlevante de l’un des participants. Nous vous soumettons que cette distinction est importante au traitement de la plainte étant donné qu’elle distingue nettement le présent dossier des décisions antérieures du CCNR où le niveau de langage avait été jugé comme grossier à la suite de l’emploi de sacres à répétition, ce qui n’est certes pas le cas en l’espèce.

En effet, et contrairement aux décisions du CCNR concernant des émissions telles Les jeunes loups, Juste pour rire : Le gala hommage à Denise Filiatrault, La série Montréal-Québec, Scrap Metal et Les galas « Juste pour rire » 2011 : La party à Mercier, etc. il est à noter que l’émission La Voix n’est pas du tout du même acabit. Il s’agit d’une émission de type télé-réalité à vocation sociale, culturelle et artistique mettant en vedette le talent musical du Québec où rivalisent certains des plus beaux espoirs de la relève, guidés par des coachs chevronnés. Cette émission à grand déploiement a été diffusée pendant trois saisons complètes entre 2013 et 2015 et a atteint des cotes d’écoute record dépassant les 2,5 millions de téléspectateurs. En d’autres mots, il s’agit d’une émission culte qui contribue au rayonnement des arts et de la culture au Québec.

Par ailleurs, il suffit de visionner un épisode de La Voix pour constater que le niveau de langage de l’animateur, des coachs et des participants est particulièrement correct et s’adresse à un large public, incluant le public familial, d’où sa plage horaire de diffusion le dimanche soir à partir de 19 h 30. RNC MEDIA tient à souligner que les sacres ne sont aucunement monnaie courante dans l’émission et qu’il s’agit d’occurrences isolées et exceptionnelles qui ne représentent aucunement le niveau de langage général de l’émission. D’ailleurs, les coachs sont particulièrement soucieux quant à leur niveau de langage tel que réitéré par M. Éric Lapointe dans l’extrait faisant l’objet de la présente plainte où il rappelle qu’il faut utiliser un niveau de langage correct dans le cadre de l’émission. Finalement, RNC MEDIA tient à rappeler qu’en trois saisons de diffusion de l’émission La Voix, il s’agit de la seule et unique plainte qu’elle a reçue relativement au niveau de langage de cette émission, ce qui vient encore une fois souligner le caractère exceptionnel de la situation.

Dans l’analyse de la présente plainte, RNC MEDIA soumet respectueusement que le Comité décideur devrait appliquer les articles 10 et 11 du Code de déontologie de l’ACR avec souplesse en tenant compte du contexte et des buts visés par ces articles, à savoir que les émissions comportant du langage grossier et injurieux soient diffusées après 21 h et fassent l’objet de mises en garde à l’auditoire appropriées. Dans l’analyse de ce qui constitue du « langage grossier et injurieux » au sens de ces articles, le CCNR devrait appliquer un critère tant qualitatif que quantitatif en tenant compte du contexte global de l’émission faisant l’objet de la plainte.

Dans le cas qui nous occupe, quant au critère qualitatif, RNC MEDIA rappelle que l’émission La Voix est une émission destinée à un large public qui utilise un niveau de langage correct. Elle ne fait aucunement la promotion de l’emploi de sacres, au contraire l’emploi de ces derniers est isolé et exceptionnel. Ils peuvent cependant être prononcés sous le coup de l’émotion, ce qui peut arriver dans le cas d’une télé-réalité. RNC MEDIA, soucieuse des obligations découlant des codes de déontologie administrés par le CCNR, a d’ailleurs communiqué avec Groupe TVA dans le cadre du traitement de la présente plainte afin qu’un rappel soit fait aux coachs de l’émission quant au niveau de langage à employer en vue de la prochaine saison. Quant au critère quantitatif, rappelons que la plainte ne porte que sur l’emploi d’un seul sacre, et ce contrairement aux dossiers répertoriés dans la jurisprudence du CCNR où les sacres employés étaient particulièrement nombreux et répétés.

En conclusion, RNC MEDIA réitère que selon elle la diffusion de l’émission La Voix du 18 janvier 2015 n’a enfreint aucun des codes supervisés par le CCNR. Nous en venons à cette conclusion sur la base d’une appréciation du contexte général de l’émission et de son niveau de langage, tel que précédemment exposé. RNC MEDIA souligne également qu’il serait selon elle contraire aux dispositions et à l’esprit des codes supervisés par le CCNR qu’elle soit sanctionnée pour la diffusion d’un sacre dans cette émission et qui représente en soi une occurrence exceptionnelle. Une telle décision aurait au surplus des conséquences pratiques peu souhaitables pour l’industrie en général et créerait un précédent qui exposerait les diffuseurs à des sanctions pour des écarts de langage exceptionnels, ce qui ne peut selon nous avoir été le but visé dans l’établissement des codes en question.

Nous vous remercions d’avance de porter les présentes à l’attention du Comité décideur et vous prions d’agréer, [Directrice des politiques du CCNR], l’expression de nos salutations les plus distinguées.