CHMP-FM concernant des commentaires faits dans le cadre de Dutrizac

COMITÉ RÉGIONAL DU QUÉBEC
Décision du CCNR 11/12-0630
15 août 2012
D. Meloul (présidente), G. Moisan (Vice président), A. H. Caron, T. Porrello

LES FAITS

Dutrizac est une émission-débat diffusée à l’antenne de CHMP-FM (98,5fm, Montréal). L’émission est animée par Benoit Dutrizac et est diffusée du lundi au vendredi de 12 h à 15 h. M. Dutrizac et ses collaborateurs font des chroniques et discutent de l’actualité et des affaires publiques.

Le 29 septembre 2011, M. Dutrizac et le chroniqueur d’affaires religieuses, Alain Pronkin, ont discuté d’un règlement de la ville de Hampstead qui interdit le bruit certains jours de fête. La Ville de Hampstead a adopté, à une certaine époque, un règlement sur les nuisances et plus particulièrement sur le bruit. Ce règlement limitait, à certaines heures de la journée et à certains jours, tels les congés fériés, l’utilisation d’équipements de construction ou d’équipements utilisés pour l’entretien résidentiel bruyants, de façon à ne pas troubler la paix.

Au printemps 2010, la ville de Hampstead a amendé son règlement pour ajouter deux fêtes juives à la liste des jours fériés déjà pris en compte par le règlement, soit Rosh Hashanah et Yom Kippour. La ville a fait valoir que ces deux fêtes juives ont été ajoutées à la liste des jours compte tenu que 83 % de la population de Hampstead est de confession juive.

En septembre 2011 les médias ont commenté ce règlement après qu’un résident de Hampstead qui n’était pas de confession juive eut été averti d’arrêter de faire certains travaux à l’extérieur de son domicile.

Dutrizac a commencé ce segment de son émission en faisant entendre le son d’une tondeuse à gazon et en déclarant, en anglais, « Hey, turn that off ». Il a souligné que la ville de Hampstead effectuerait ses patrouilles habituelles et imposerait des amendes aux contrevenants, puis a ajouté « C’est un. Si tu te rases la face avec un rasoir électrique ils vont te mettre en dedans ». Puis il a prétendu que « la communauté juive a décidé qu’il y aurait pas de bruit » et qu’il serait taxé d’« antisémite » et de « raciste » pour tenir ces propos.

Pronkin a bien tenté d’expliquer l’historique et la signification des fêtes juives, mais lorsqu’il a mentionné que Rosh Hashanah représente la nouvelle année dans la tradition juive, Dutrizac est intervenu pour dire « Non, non, t’es au Québec! C’est le premier janvier ». MM. Dutrizac et Pronkin ont continué leur discussion en traitant des accommodements en matière religieuse au Québec. M. Pronkin a mentionné certaines lois et politiques canadiennes portant sur ce sujet, notamment l’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Big Drug Mart en 1985 sur l’ouverture des commerces le dimanche, l’adoption de la Loi sur le Multiculturalisme dans les années 80, et l’abolition de la prière dans les écoles.

Dutrizac s’est ensuite plaint que la majorité culturelle était incapable d’imposer ses pratiques aux minorités mais que ces dernières pouvaient imposer leurs pratiques à la majorité. Dans cette optique il a déclaré « Non, non, mais nous on peut même pas imposer quoi que ce soit aux communautés juives! On peut même pas imposer aux malades mentaux, aux retardés là, qui veulent pas voir les femmes faire l’exercice par une fenêtre. »[i]

À un certain moment Dutrizac a déclaré ce qui suit :

Donc, on invite tous les gens qui passent par la ville de, ville d’Hampstead jeudi et vendredi à klaxonner, à faire du bruit, à, à, à péter, à faire n’importe quoi, n’importe quel bruit pour indiquer à la communauté juive que c’est pas la communauté juive qui mène au Québec. C’est pas eux, elles qui vont déterminer comment on va vivre en société au Québec. C’est juste pas vrai. C’est pas vrai qu’ils vont imposer leurs concepts religieux, leurs préceptes religieux à toute la société. Il y a des maudites limites.

Pour sa part, M. Pronkin a souligné que la communauté juive d’Hampstead est plus orthodoxe que certaines autres communautés juives de Montréal, sans être des hassidiques comme à Outremont. Il a ajouté que la question était maintenant de savoir si la ville appliquerait son règlement et de façon plus générale si le législateur ne devrait pas adopter un cadre législatif pour régler de façon homogène la question des accommodements raisonnables.

Vers la fin de la discussion M. Dutrizac a ajouté :

Au-delà des lois c’est les citoyens qui vont décider comment ça va marcher. Pis jeudi, vendredi à Hampstead sais-tu quoi, si tu veux passer ta tondeuse, passe-la donc. Pis fais pas exprès pour achaler tes voisins. Fais pas exprès pour être détestable. Fais pas exprès pour faire jouer la musique trop fort. Mais en même temps on va pas s’empêcher de vivre parce qu’eux-autres ils pensent que, euh, aujourd’hui pis demain c’est le début de l’année. Qu’est-ce que tu veux? C’est pas même au Québec.

Pronkin a ensuite mentionné que d’autres villes avaient des règlements semblables sur le bruit, mais M. Dutrizac a mis fin à la discussion. (La transcription complète de cette séquence se trouve à l’Annexe A.)

Le CCNR a reçu une plainte du Centre consultatif des relations juives et israéliennes le 22 novembre 2011 à propos de cette émission. Le Centre faisait valoir dans sa plainte que M. Dutrizac a tenu des propos diffamatoires à l’encontre de la communauté juive en accusant l’ensemble de la communauté juive de vouloir dominer le Québec. Dans sa plainte, le Centre citait la transcription des propos de M. Dutrizac invitant tous les gens passant par Hampstead à faire du bruit et a fait valoir que ces propos violaient les dispositions des articles 3 et 4 du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs.

La station a envoyé une réponse le 28 novembre. Elle a fait valoir que le sujet en question a défrayé l’actualité au cours des semaines précédentes et que plusieurs commentateurs en avaient discuté. La station justifiait la position de M. Dutrizac en se fondant 1) sur le fait que ce dernier critiquait un règlement municipal; 2) que M. Pronkin, un spécialiste des questions religieuses, avait expliqué la signification de ces fêtes et la place de la religion dans le système canadien; 3) que M. Dutrizac n’a en aucun moment critiqué la communauté juive pour ses croyances religieuses; 4) que M. Dutrizac milite pour la séparation de l’église et de l’État; et que 5) le sujet était d’intérêt public. CHMP-FM a d’ailleurs souligné que « le  98,5 se présente publiquement comme une radio d’opinion et est clairement reconnu comme tel dans le marché radiophonique de Montréal. » La lettre précisait que le journalisme d’opinion accorde à ceux qui le pratiquent une grande latitude pour exprimer leurs points de vue et dans le choix du style ou du ton qu’ils adoptent pour le faire et que M. Dutrizac n’avait qu’exprimé son point de vue sur un sujet politique et que ces propos n’avaient violé aucune disposition des codes de l’industrie.

Le plaignant a réécrit à la station le 29 novembre en précisant qu’il ne contestait pas le droit de M. Dutrizac de critiquer le controversé règlement municipal de la Ville de Hampstead mais plutôt le fait que ses propos « stigmatisent l’ensemble de la communauté juive du Québec pour un règlement adopté par un conseil de ville » et a « gratuitement imputé à l’ensemble des Juifs québécois “la volonté d’imposer leurs concepts religieux, leurs préceptes religieux à toute la société”. »

Le Centre a aussi fait valoir que « Monsieur Dutrizac s’appuie sur une perception stéréotypée d’une communauté juive monolithique qui aurait fait pression de tout son poids sur le conseil municipal de Hampstead, alors que l’existence de ce règlement était largement ignorée de la communauté [...]. Si le journalisme d’opinion effectivement accorde aux professionnels de l’information une grande latitude, il n’en demeure pas moins qu’il doit reposer sur des faits vérifiables et vérifiés et non pas sur des préjugés personnels. »

Dans sa lettre du 29 novembre, le Centre a également joint copie d’une lettre du 27 octobre 2011 envoyée au président de Cogéco Inc., actionnaire de contrôle ultime de la station que cette dernière a prétendu ne pas avoir reçue. Cette lettre mentionnait que M. Dutrizac avait omis de mentionner dans son émission que le règlement de la Ville de Hampstead s’appliquait également à d’autres fêtes, notamment à Noël, à Pâques et à la Saint-Jean. La lettre soulignait d’autre part que suite aux propos de M. Dutrizac certains membres de la communauté juive avaient reçu des menaces et des messages haineux.

CHMP-FM a écrit de nouveau au plaignant le 1er décembre pour l’assurer que la station prenait au sérieux ses inquiétudes, qu’elle avait rencontré l’animateur pour en discuter et qu’il y avait même eu une une discussion élargie sur le respect des normes d’éthique par les stations de radio du groupe Cogéco.

Le Centre a écrit de nouveau au CCNR le 6 décembre pour exiger des excuses en ondes de la part de M. Dutrizac. (Copie de toute la correspondance au dossier de retrouve à l’annexe B).

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Code de déontologie de l’ACR, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission-débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Code de déontologie de l’ACR, Article 7 – Controverses d’intérêt public

Reconnaissant qu’en démocratie il faut présenter tous les aspects d’un sujet d’intérêt public, il incombe aux radiotélédiffuseurs de traiter avec justesse tous les sujets de nature à susciter la controverse. Avant d’accorder du temps à de tels sujets, on devra tenir compte des autres facteurs qui assurent l’équilibre de la programmation ainsi que du degré d’intérêt que ces questions suscitent dans le public. Reconnaissant que la saine controverse est essentielle au maintien des institutions démocratiques, les radiotélédiffuseurs encourageront la présentation de nouvelles et d’opinions sur des sujets controversés qui comprennent une composante d’intérêt public.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 3 – Représentation négative

Pour assurer une représentation adéquate de tous les individus et tous les groupes, les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter sur les ondes des représentations indûment négatives des individus en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. Une telle représentation négative peut prendre plusieurs formes, incluant, entre autres, les stéréotypes, la stigmatisation et la victimisation, la dérision au sujet des mythes, des traditions ou des pratiques, un contenu dégradant et l’exploitation.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 4 – Stéréotypes

Reconnaissant que les stéréotypes constituent une forme de généralisation souvent et, de façon simpliste, dénigrante, blessante ou préjudiciable, tout en ne reflétant pas la complexité du groupe faisant l’objet du stéréotype, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne renferment aucun contenu ou commentaire stéréotypé indûment négatif en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 5 – Stigmatisation et victimisation

Reconnaissant que les membres de certains des groupes identifiables suivants se voient confrontés à des problèmes particuliers se rapportant à leur représentation, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne stigmatisent ni ne victimisent les individus ou les groupes en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 6 – Dérision des mythes, des traditions ou des pratiques

Les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter un contenu ayant pour effet de tourner indûment en dérision les mythes, les traditions ou les pratiques de certains groupes en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la séquence qui fait l’objet de la plainte. Le Comité conclut à l’unanimité que CHMP-FM a violé les articles 6 et 7 du Code de déontologie de l’ACR, mais n’a pas violé les articles 5 et 6 du Code de l’ACR sur la représentation équitable. La majorité du Comité conclut que la station a également violé l’article 2 du Code de déontologie de l’ACR ainsi que les articles 2, 3 et 4 du Code de l’ACR sur la représentation équitable. Un membre du Comité ne trouverait pas de violations de ces dernières dispositions.

Présentation complète, juste et appropriée d’un sujet controversé

Le Comité note que M. Dutrizac a utilisé une information tronquée sur l’adoption d’une modification à un règlement municipal existant sur les nuisances pour s’attaquer à la communauté juive montréalaise :

Hey, turn that off. C’est , euh, la fête juive. Hey, all right. Ça là c’est la ville d’Hampstead qui    interdit le bruit pendant deux jours, euh, du Rosh Hashana, une fête juive.[…] T’sais les sottises habituelles. Mais un m’ment donné la communauté juive a tous les droits pis là tout le reste de la communauté doit, la société québécoise doit fermer sa gueule.

Puis un peu plus loin dans la transcription :

Non, non, mais on peut même pas imposer quoi que ce soit aux communautés juives! On peut même pas imposer aux malades mentaux, aux retardés-là, qui veulent pas voir des femmes faire l’exercice par une fenêtre […] qui veulent pas se faire arrêter par une policière. On peut même pas leur dire “sais-tu quoi? Ça fait pas ton affaire man, faut tu déménages, faut t’aille vivre ailleurs parce qu’ici les hommes et les femmes sont égaux” On peut même pas faire ça et là ils nous imposent le silence pour le Rosh Hashanah. Le, la, la, le début de l’année pis le Yom Kippour.

Or la modification apportée au règlement de la ville de Hampstead n’a fait qu’ajouter deux jours à ceux déjà prévu au règlement, notamment Noël, le 1er janvier, Pâques, la Fête des Patriotes et la Fête nationale, la Saint-Jean, où certaines limitations de bruits extérieurs sont en vigueur. Une simple lecture du document, disponible sur le site de la ville de Hampstead, aurait permis à l’animateur de réaliser que ce règlement n’avait pas la portée qu’il lui a prêtée pour ensuite se donner bonne conscience en fustigeant la communauté juive et en invitant la population en général à aller faire du bruit à Hampstead pour montrer son désaccord :

Donc on invite tous les gens qui passent par la ville de ville d’Hampstead jeudi et vendredsi à klaxonner, à faire du bruit, à, à, à péter, à faire n’importe quoi, n’importe quel bruit pour indiquer à la communauté juive que ce n’est pas la communauté juive qui mène au Québec. C’est pas eux, elles, qui vont déterminer comment on va vivre en société au Québec. C’est juste pas vrai. C’est pas vrai qu’ils vont imposer leurs concepts religieux, leurs préceptes religieux à toute la société. Il y a des maudites limites.

Le Comité conclut à l’unanimité qu’à l’évidence les propos de M. Dutrizac, diffusés par CHMP-FM, n’ont pas respecté l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR sur la présentation complète juste et appropriée des faits qu’il a rapportés.[ii] La station tente de se justifier en invoquant l’article 7 du même Code portant sur les controverses d’intérêt public. Or cet article précise « qu’il incombe aux radiotélédiffuseurs de traiter avec justesse tous les sujets de nature à susciter la controverse » [c’est nous qui soulignons]. En l’occurrence en diffusant l’analyse biaisée de son animateur tirée de faits tronqués, la station ne peut prétendre avoir traité avec justesse un sujet de nature à susciter la controverse.[iii]

Représentation négative d’un groupe à l’égard de sa religion – Opinion de la majorité

De plus, la majorité du Comité conclut que la station a agi en contravention de l’article 2 du Code de déontologie de l’ACR et de l’article 2 du Code de l’ACR sur la représentation équitable en diffusant, sur la base de faits tronqués, les commentaires abusifs de son animateur à l’égard de la communauté juive en général, en les traitant, entre autres, de malades mentaux, de retardés et en alléguant que cette communauté imposait le silence à toute la société québécoise. Le Comité conclut d’autre part que la station a violé les dispositions de l’article 4 du Code de l’ACR sur la représentation équitable en diffusant les propos de son animateur qui, à partir d’un fait anodin, a échafaudé une généralisation simpliste, blessante et stéréotypée sur la communauté juive.[iv] Puisque l’article 3 du Code sur la représentation équitable constitue une liste des différentes formes de représentations négatives, y compris les stéréotypes, il y a également infraction à cette disposition.

Il n’y a cependant pas eu violation de l’article 5 (Stigmatisation et victimisation). Dans Le Petit Robert la définition du mot « stigmatiser » est « noter d’infamie, condamner définitivement et ignominieusement ». Le Comité estime que les paroles de M. Dutrizac n’avaient pas cette connotation et que M. Dutrizac avait le droit de diffuser son point de vue selon lequel les groupes minoritaires ne devraient pas imposer leurs valeurs et croyances à la majorité. Il s’agit là d’un commentaire politique acceptable.

Il n’y a pas eu, non plus, violation de l’article 6 du Code sur la représentation équitable parce que, même si M. Dutrizac a montré son ignorance quant aux croyances et pratiques juives, le chroniqueur religieux, M. Pronkin, a pris soin d’expliquer en détails la signification des fêtes juives dont Rosh Hashanah et Yom Kippour.

Opinion dissidente de G. Moisan

Je partage l’opinion de la majorité quant aux violations des articles 6 et 7 du Code de déontologie de l’ACR et aux non-violations des articles 5 et 6 du Code sur la représentation équitable. Par contre, je ne partage pas l’opinion de la majorité quant aux violations des articles concernant les droits de la personne, la représentation négative et les stéréotypes. Le CCNR a reconnu, de manière constante, que les radiodiffuseurs ont le droit de diffuser des commentaires critiques envers les politiques et les actions gouvernementales, même dans le cas où il y a des implications en termes de race, ethnicité ou religion.[v] Quoique M. Dutrizac et son invité aient fait des commentaires biaisés et incomplets sur la modification au règlement de la ville de Hampstead (commentaires qui ont violé les dispositions des articles 6 et 7 du Code de déontologie de l’ACR tel que mentionné ci-haut) je considère que les commentaires de M. Dutrizac sur la population juive en général n’étaient pas abusifs ni indûment discriminatoires ou négatifs. M. Dutrizac avait le droit de faire valoir son point de vue à l’effet que les lois ne devraient pas privilégier les groupes minoritaires. De plus, à mon avis, les propos critiques de M. Dutrizac sur les croyances et les pratiques de la religion juive ont été rééquilibrés par les explications objectives fournies par M. Pronkin à leur sujet.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans ce dossier, CHMP-FM a fait parvenir deux lettres à l’argumentaire détaillée à l’organisme ayant porté plainte dans lesquelles elle précisait son point de vue sur la diffusion en cause. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif dans ce cas-ci.

L’Annonce de la décision

CHMP-FM est tenue 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel elle a diffusé Dutrizac, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion au plaignant qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CHMP-FM a violé le Code de déontologie et le Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs lorsqu’elle a diffusé l’émission Dutrizac du 29 septembre 2011. Cette émission contenait des commentaires indûment discriminatoires et des stéréotypes indûment négatifs à l’endroit de la communauté juive contrairement à l’article 2 du Code de déontologie et aux articles 2, 3 et 4 du Code sur la représentation équitable. Elle a également présenté une question controversée de manière incomplète et injuste, violant ainsi les articles 6 et 7 du Code de déontologie.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision

[i] Allusion à une affaire remontant à 2006 où certains juifs hassidiques d’Outremont avaient demandé au YMCA d’installer des fenêtres givrées donnant sur la rue pour qu’on ne puisse pas voir les femmes en tenue de sport.

[ii] Les décisions suivantes du CCNR contiennent d’autres exemples de cas où le CCNR a examiné à quel point l’information présentée dans des émissions non consacrées aux nouvelles était exacte et/ou complète : TQS concernant l’émission Black-out (« Le B.S. c’est ben correct ») (Décision du CCNR 97/98-0009, rendue le 29 janvier 1999); CHOI-FM concernant Dupont le midi (organismes communautaires) (Décision du CCNR 08/09-1506, rendue le 23 septembre 2010); et CHOI-FM concernant Maurais Live (formation à l’intention des agences gouvernementales) (Décision du CCNR 09/10-1564, rendue le 25 janvier 2011).

[iii] Les décisions suivantes du CCNR contiennent d’autres exemples de cas où le CCNR a appliqué une combinaison des articles 6 et 7 du Code de déontologie de l’ACR en ce qui concerne des plaintes sur le traitement équitable de questions publiques portant à controverse : CHOG-AM concernant l’émission de Shelley Klinck (Décision du CCNR 95/96-0063, rendue le 30 avril 1996) et CHRB-AM (AM 1140) concernant un épisode de Freedom Radio Network (Décision du CCNR 05/06-1959, rendue le 9 janvier 2007).

[iv] Les décisions suivantes du CCNR contiennent des exemples précédents de cas où il a été jugé que des commentaires étaient abusifs ou indûment discriminatoires à l’endroit d’un groupe identifiable et/ou présentaient un stéréotype indûment négatif d’un groupe identifiable : CKVL-AM concernant l’émission d’André Arthur et Martin Paquette (Décision du CCNR 98/99-1184, rendue le 21 février 2000); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Décision du CCNR 03/04-0453, rendue le 10 février 2005); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Argent) (Décision du CCNR 05/06-1379, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Difficultés financières) (Décision du CCNR 05/06-1405, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Sans enfants) (Décision du CCNR 05/06-1671, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant Doc Mailloux (six épisodes) (Décision du CCNR 06/07-0168 et -0266, rendue le 23 août 2007); CFRA-AM concernant un épisode du Lowell Green Show (islam) (Décision du CCNR 07/08-0916, rendue le 22 octobre 2008); et CFNY-FM concernant une séquence intitulée « Spencer the Cripple » diffusée dans le cadre du Dean Blundell Show (Décision du CCNR 08/09-0650, rendue le 25 juin 2009).

[v] Par exemple, CHOM-FM et CILQ-FM concernant le Howard Stern Show (Décision du CCNR 97/98-0001+, rendue les 17 et 18 octobre 1997); CFUN-AM concernant The John and JJ Show (politique d’immigration) (Décision du CCNR 97/98-0422, rendue le 20 mai 1998); et CFUN-AM concernant le Pia Shandel Show (Revendications territoriales des Amérindiens) (Décision du CCNR 98/99-0147, rendue le 14 octobre 1999).