CHIK-FM concernant Dupont le matin

COMITÉ DÉCIDEUR FRANCOPHONE
Décision CCNR 16/17-1898
2018 CCNR 5
28 mars 2018
S. Courtemanche (présidente), C. Crépin, V. Dubois, M. Lorrain, C. Scott, C. Simard

LES FAITS

CHIK-FM (Énergie 98,9, Québec) est une station de radio musicale qui diffuse de la musique top 40. Dupont le matin est l’émission matinale pendant laquelle l’animateur Stéphane Dupont discute de faits divers. Le 12 avril 2017, aux alentours de 7 h 30, il a eu la conversation suivante avec une coanimatrice :

Dupont :              Pis là l’eau est pas dans la cave. Pis qu’est-ce qu’ils ont fait comme geste préventif que les gens ne parlent pas? Ils ont coupé l’électricité.

coanimatrice :   Hm, hm.

Dupont :              Alors là, là c’est des dommages. En réalité, les dommages qu’on cause à ta maison, même s’il y a pas une goutte d’eau dans ta maison, on s’en calisse. Pis c’est un peu ça qui est déplorable, c’est que des fois la logique de l’analyse entre dire ben « Paniquons pas pour rien là ». Alors, on coupe l’électricité. Je dis pas qu’ils l’ont fait pour les 30 résidences, là, mais il y a, il y a, à certains endroits l’électricité a été coupée.

Le 12 avril, le CCNR a reçu une plainte d’un auditeur qui déplorait l’utilisation de l’expression « on s’en calisse » en ondes. Il écrit qu’il trouve cela « inacceptable », surtout « avec nos enfants dans l’auto ». CHIK-FM a envoyé une réponse au plaignant le 8 mai. La station reconnaît que le juron « calice » peut être jugé de mauvais goût et offusquer des auditeurs; toutefois, il n’a pas toujours été considéré par le CCNR comme étant une violation de ses codes. Conscient du fait que ce langage puisse offusquer des auditeurs, CHIK-FM a rencontré l’animateur pour lui faire part de la situation. Désolée de l’incident, la station a exprimé ses excuses concernant les propos qui ont pu offenser l’auditeur.

Le 16 mai, le plaignant a déposé sa demande de décision en écrivant qu’il continue d’entendre des sacres sur les ondes de la station.

CHIK-FM a envoyé des informations supplémentaires au CCNR le 7 février 2018. CHIK-FM explique que M. Dupont anime une émission du matin traitant de divers sujets de société et d’actualité et que « M. Dupont est amené à donner son opinion, parfois controversée sur ces enjeux. » En l’espèce, M. Dupont a utilisé le juron « pour souligner à quel point les autorités se fichent des dommages réels à la maison avant de décider de couper l’électricité ». Donc, l’utilisation du juron avait pour but d’illustrer et appuyer les propos et l’opinion de M. Dupont et de provoquer des discussions et une réaction du public. CHIK-FM souligne que M. Dupont n’a utilisé le juron qu’une seule fois et ne s’en est pas servi pour insulter ou humilier une personne. La station offre également des exemples où l’utilisation d’un juron n’aurait pas violé les codes de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR). Elle reconnaît que le contexte de ces décisions du CCNR puisse être différent, mais CHIK-FM prétend que « certains jurons religieux québécois comme “calice” sont maintenant intégrés au langage populaire et n’ont plus une signification aussi offensante que par le passé et sont marginalement acceptables. » Elle estime que ces mots sont maintenant d’usage commun et que, lorsque utilisés avec parcimonie et lorsque le contexte le justifie, ils ne constituent pas du langage grossier et une violation des codes. (La correspondance complète figure dans l’annexe.)

LA DÉCISION

Le comité décideur francophone a étudié la plainte à la lumière de l’article 9(c) (Radiodiffusion) du Code de déontologie de l’ACR:

Reconnaissant que la radio est un média local et qu’il reflète par conséquent les normes de la collectivité desservie, les émissions diffusées aux ondes d’une station de radio locale doivent tenir compte de l’accès généralement reconnu à la programmation qui est disponible sur le marché, de la répartition démographique de l’auditoire de la station et de la formule empruntée par la station. Dans ce contexte, les radiodiffuseurs prendront un soin particulier de veiller à ce que les émissions diffusées à l’antenne de leurs stations ne comprennent pas :

[...]

c) du langage qui est indûment grossier et injurieux.

Les membres du comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la diffusion en question. Le comité conclut que CHIK-FM n’a pas enfreint l’article 9(c) du Code de déontologie de l’ACR.

La question à laquelle avait à répondre le comité décideur :

En l’instance, est-ce que l’utilisation du mot « calice » à 7 h 30 enfreint l’article 9(c) du Code de déontologie de l’ACR?

Par le passé, le CCNR a toujours conclu que l’utilisation de certains jurons tel le mot « calice » pendant les heures où les enfants peuvent être à l’écoute, enfreint la disposition du code en question[1].

La seule exception fut la première occasion où un comité décideur a dû trancher la question à savoir si l’emploi d’expressions offensantes dans le cadre de la parodie d’un entrepreneur du Québec enfreignait le code applicable[2]. La diffusion des propos offensants s’était faite très tôt entre 4 h et 5 h le matin.

Le comité décideur avait alors déclaré que le sketch en question ne visait nullement la religion catholique ou l’Église et, en vertu du critère des « normes collectives larges », les mots utilisés n’avaient pas excédé le niveau de tolérance acceptable pour le langage grossier. Le comité avait expliqué que :

[...] les mots faisant l’objet de la plainte se sont intégrés à l’usage commun et marginalement acceptable [...]

[...] que même si ces mots sont inacceptables dans certains foyers et ne sont certes pas de bon goût, à l’heure actuelle ils ne sont plus suffisamment graves pour qu’il y ait des limites à leur utilisation à la radio, surtout très tôt le matin, notamment entre 4 h et 5 h[3].

En l’occurrence, la diffusion du juron « calice » s’est faite à 7 h 30, une heure où les enfants peuvent très bien être à l’écoute. Le CCNR tente généralement de limiter à certaines heures l’utilisation de jurons qui excèdent le niveau de tolérance acceptable pour le langage grossier puisqu’on estime que le code applicable a aussi pour objectif de créer une période sécuritaire, surtout pour les auditeurs en bas âge.

Le comité décideur estime qu’en l’instance l’utilisation du juron n’avait pas une dimension religieuse et que l’expression « on s’en calice » ne constituait pas un enchaînement de sacres. Le comité croit plutôt que cette expression s’est intégrée au langage populaire et a même pris la forme d’un verbe communément utilisé pour remplacer l’expression « on s’en fout ». Dans ce contexte, on estime que l’utilisation de cette expression pour décrire l’insouciance des autorités à l’égard des dommages causés aux maisons par la décision de couper l’électricité, si on lui applique le critère des « normes collectives larges », n’a pas excédé le niveau de tolérance acceptable pour le langage injurieux.

Le comité décideur est sensible au fait que l’utilisation de certains jurons ne doit pas être faite à outrance. Et certes, cette décision n’encourage aucunement l’utilisation de langage grossier ou injurieux surtout aux heures où les enfants peuvent être à l’écoute. Toutefois, on estime que l’évolution du langage courant peut influencer l’interprétation du code et que, dans ce contexte en particulier, l’animateur n’a pas excédé le niveau de tolérance acceptable pour le langage injurieux. En l’instance, plusieurs facteurs ont été pris en compte, y compris :

Par ailleurs, le comité décideur note que la direction de la station a rencontré l’animateur afin de le sensibiliser à la situation. Il estime qu’en général les animateurs devraient éviter l’utilisation de jurons et qu’il serait souhaitable, lorsqu’un animateur utilise du langage grossier, qu’il le reconnaisse immédiatement ou peu après et s’excuse en ondes auprès de son auditoire.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CHIK-FM, dans sa réponse et les informations supplémentaires fournies, a satisfait à son obligation de répondre adéquatement à la plainte. Ce radiodiffuseur ayant rempli son obligation de se montrer réceptif, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

[1] CKOI-FM concernant des commentaires faits dans le cadre de Y’é trop de bonne heure (Décision CCNR 04/05-0891, 9 septembre 2005); CKAC-FM concernant Doc Mailloux (six épisodes) (Décision CCNR 06/07-0168 et -0266, 23 août 2007); CKRB-FM concernant Prends ça cool… et Deux gars le midi (Décision CCNR 08/09-0689 et -1228, 11 août 2009); CHOI-FM concernant Dupont le midi (suicide) (Décision CCNR 08/09-2041 et 09/10-1462, 23 septembre 2010); CHOI-FM concernant Dupont le midi (Haïti) (Décision CCNR 09/10-0854, 23 septembre 2010); CHOI-FM concernant Dupont le midi (patinage artistique) (Décision CCNR 09/10-1257 et -1260, 23 septembre 2010).

[2] CKAC-AM concernant un sketch comique par Michel Beaudry (Décision CCNR 01/02-0966, 20 décembre 2002).

[3] CKAC-AM concernant un sketch comique par Michel Beaudry (Décision CCNR 01/02-0966, 20 décembre 2002).

[4] L’expression utilisé dans CKAC-AM concernant un sketch comique par Michel Beaudry (Décision CCNR 01/02-0966, 20 décembre 2002).


Annexe

La plainte

Le CCNR a reçu la plainte suivante par l’entremise de son formulaire web le 12 avril 2017 :

Nom de la station :         CHIK 98,9

Nom de l’émission :       Dupont le matin

Date :                                    2017/04/12

Heure :                                 7h30

Préoccupation :                L’animateur lâche un gros « on s’en calisse » en ondes. Avec nos enfants dans l’auto, je trouve cela inacceptable!

La réponse du radiodiffuseur

CHIK-FM a répondu au plaignant avec une lettre datée du 3 mai, mais envoyée le 8 mai :

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (« CCNR ») nous a fait parvenir une copie de votre plainte du 12 avril dernier concernant l’utilisation d’un juron par l’animateur Stéphane Dupont lors de son émission Dupont le matin sur les ondes de Énergie 98.9 à Québec cette même journée vers 7 h 30.

Soyez assuré que les préoccupations de nos auditeurs nous tiennent à cœur et que nous prenons vos commentaires au sérieux. Le juron « calice » a effectivement été utilisé par l’animateur dans le segment auquel vous référez dans votre plainte. Bien que l’utilisation d’un tel juron en ondes puisse être qualifiée comme étant de mauvais goût, il n’a pas toujours été considéré par le CCNR comme étant une violation de ses codes. Nous sommes toutefois conscients que ce type de langage peut offusquer des auditeurs et nous avons donc rencontré l’animateur pour lui faire part de la situation.

Bell Média est une entreprise sérieuse dont les stations visent toujours l’excellence dans leur programmation et nous sommes sincèrement désolés que des propos diffusés en ondes aient pu vous offenser.

Nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous faire part de vos préoccupations et vous prions d’agréer, M. [B.], l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Correspondance afférente

Le plaignant a envoyé un courriel au CCNR le 16 mai :

Bonjour, j’ai reçu la réponse de Bell, je la refuse, encore la semaine dernière j’ai entendu des sacres sur leurs ondes. Je demande une décision du CCNR.

Merci.

Le CCNR fournit au radiodiffuseur une dernière opportunité d’ajouter au dossier lorsqu’il établit la date de la réunion du comité décideur. CHIK-FM a envoyé la lettre suivante le 7 février 2018 :

Suite à votre courriel du 30 janvier 2018, nous vous soumettons par la présente des informations supplémentaires concernant l’utilisation du juron « calice » par Stéphan Dupont lors de son émission matinale du 12 avril 2017 sur les ondes d’Énergie 98.9 Québec.

D’abord, il est à noter que M. Dupont anime une émission du matin dans laquelle divers sujets de société et d’actualité sont débattus et dans laquelle M. Dupont est amené à donner son opinion, parfois controversée, sur ces enjeux. Dans le cas de l’émission visée par la plainte, M. Dupont faisait état de son opinion sur la façon dont les sinistres liés aux inondations étaient traités. Dans ce contexte, il a utilisé le juron « calice » pour souligner à quel point les autorités se fichent des dommages réels à la maison avant de décider de couper l’électricité. Ce choix de mot était peut-être de mauvais goût, mais servait à illustrer et appuyer les propos et l’opinion de M. Dupont dans le but de provoquer des discussions et une réaction du public.

Ensuite, il est à noter que M. Dupont n’a utilisé ce juron qu’une seule fois pendant son intervention et non à de multiples reprises. Il n’a pas non plus utilisé ce mot pour insulter ou humilier une personne.

De plus, tel que mentionné brièvement dans notre réponse au plaignant du 3 mai 2017, le CCNR a, dans les décisions du 12 février 2003 et du 2 mai 2006, considéré que l’utilisation de jurons en ondes n’était pas toujours une violation de ses codes. Bien que ces décisions aient des contextes différents (dont les heures de diffusion), nous sommes d’avis que certaines conclusions du CCNR à même ces décisions sont applicables en l’espèce. Par exemple, nous sommes d’avis que certains jurons religieux québécois comme « calice » sont maintenant intégrés au langage populaire et n’ont plus une signification aussi offensante que par le passée et sont marginalement acceptables. Ces mots sont d’usage commun, dans la vie en général mais également en radio et en télé où ils sont largement utilisés le jour, malgré les règles établies pour les éviter. D’autres parts, tel que mentionné dans une des décisions, certains jurons posent moins de problèmes que d’autres, surtout si utilisés avec parcimonie et lorsque le contexte le justifie, contrairement à une utilisation gratuite comme une interjection. Nous rappelons également que le CCNR a conclu dans le passé, tel que noté dans sa décision du 7 novembre 2017 sur l’utilisation du mot « fuck » en radio francophone, que « le langage évolue et qu’il faut y voir le reflet de la société actuelle ».

En conclusion, nous ne croyons pas que l’utilisation d’un seul juron dans une émission du matin à la radio dans le contexte ci-haut mentionné ne soit assez grave pour être qualifié « d’indûment grossier » et donc de conclure à une violation des codes.

Malgré ce qui précède, Bell Média est une entreprise sérieuse et soucieuse de suivre les codes de radiodiffusion. Nous avions donc à l’époque de la plainte, rencontré M. Dupont pour le sensibiliser à la situation et lui rappeler les règles quant à l’utilisation de langage grossier en ondes.

En espérant que ce supplément d’information vous soit utile.