CFXL-FM concernant un commentaire fait dans l’émission Tom Kent

COMITÉ RÉGIONAL DES PRAIRIES
Décision du CCNR 11/12-1195
18 juillet 2012
D. Ish (président), C. Cowie (ad hoc), D. Dobbie, V. Dubois, E. Shia

LES FAITS

CFXL-FM (XL 103 FM, Calgary) diffuse l’émission américaine Tom Kent de 18 h à 23 h. Tom Kent est un animateur de radio américain dont la programmation est distribuée à travers l’Amérique du Nord par son réseau, le Tom Kent Radio Network. L’émission Tom Kent présente de la musique et des segments parlés. Vers 19 h 36 dans l’épisode du 10 février 2012, M. Kent s’est entretenu avec une auditrice au sujet d’un Autrichien qui aspirait à établir un record mondial en sautant en parachute depuis la stratosphère. M. Kent et son interlocutrice ont fait les commentaires suivants (la transcription légèrement plus longue se trouve à l’Annexe A en anglais seulement) :

[Traduction]

Interlocutrice :   Je me demande combien de gens vont regarder le ciel en se disant « Est-ce un oiseau? Est-ce un avion? » Puis quand il s’écrasera sur terre, ils diront « Bien, ce n’était certainement pas Superman ».

Kent :   [En ricanant], c’est vrai. [L’interlocutrice rit]. Ils diront que c’est le célèbre « chinaman » [traduction approximative : chinetoque], Sum Dum Guy [onomatopée en anglais imitant le chinois et dont la traduction est Un Idiot Quelconque].

Le même jour, une auditrice a porté plainte quant à l’emploi du mot « chinaman » [traduction approximative : chinetoque] au motif qu’elle estime ce terme raciste, offensant et inacceptable de nos jours. Dans la lettre qu’il a fait parvenir à la plaignante le 15 février, le radiodiffuseur a souligné que l’émission est diffusée en provenance des États-Unis où il se peut que les gens n’aient pas les mêmes sensibilités, mais a indiqué qu’il était d’accord avec elle que ce terme n’a pas sa place sur les ondes canadiennes. Il a ajouté qu’il est responsable de tout ce qui passe à son antenne et lui a fait ses [traduction] « excuses les plus sincères et une promesse de faire mieux à l’avenir ». La plaignante a néanmoins présenté sa demande de décision le 21 février en ajoutant combien elle s’inquiétait du fait qu’un radiodiffuseur canadien ne puisse pas contrôler davantage le contenu d’une émission en provenance de l’étranger et en demandant une explication concrète sur les moyens à la disposition d’un radiodiffuseur pour atteindre ce résultat. Elle n’était pas satisfaite de « vague » promesse de faire mieux. (Le texte intégral de toute la correspondance dans ce dossier se trouve à l’Annexe B en anglais seulement).

LA DÉCISION

Le Comité régional des Prairies du CCNR a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Code de déontologie de l’ACR, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 2 – Droits de la personne

Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 9 – Langage et terminologie

Les radiodiffuseurs doivent faire preuve de sensibilité devant le langage ou les termes dérogatoires ou inappropriés pour faire référence à des individus ou à des groupes en évoquant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental, et éviter ce langage et ces termes.

[...]

     
  1. b) On comprend que la langue et la terminologie évoluent avec le temps. Certains langages et termes peuvent ne pas convenir lorsqu’on parle de groupes identifiables en évoquant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. Les radiodiffuseurs doivent toujours faire preuve de vigilance en ce qui concerne le caractère adéquat ou inadéquat en constante évolution de certains mots et phrases en tenant compte des normes en vigueur dans la collectivité.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la séquence en cause. Le Comité conclut que CFXL-FM n’a violé ni l’article 2 du Code de déontologie de l’ACR ni l’article 2 du Code de l’ACR sur la représentation équitable, mais que le radiodiffuseur a violé l’alinéa 9 b) du Code de l’ACR sur la représentation équitable.

Disponibilité des émissions étrangères au Canada

Les radiodiffuseurs canadiens sont entièrement libres de s’approvisionner en émissions du monde entier, la seule stipulation étant, selon la Loi sur la radiodiffusion du Canada, que ces derniers sont responsables de toute la programmation qu’ils présentent sur leurs ondes et sont tenus de veiller à ce que cette programmation se conforme aux normes canadiennes sur la radiodiffusion peu importe sa provenance.[1] CFXL-FM a clairement reconnu cette responsabilité dans sa lettre, quoiqu’elle n’ait pas précisé comment elle comptait s’en acquitter. Le Comité apprécie le fait que CFXL-FM se soit engagée à [traduction] « faire mieux à l’avenir » pour ce qui est de surveiller ses émissions étrangères, mais rappelle que le CCNR n’a pas juridiction pour imposer des façons de le faire aux radiodiffuseurs.

Commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race ou l’origine ethnique

Le CCNR a eu l’occasion, dans plusieurs décisions antérieures, d’appliquer les dispositions portant sur les droits de la personne contenues au Code de déontologie et au Code sur la représentation équitable de l’ACR, ces dispositions sont d’ailleurs presque identiques dans les deux Codes. Le CCNR a toujours soutenu dans ces cas que pour être considérés comme « abusifs » ou « indûment discriminatoires » les commentaires visés doivent faire des généralisations extrêmement négatives à l’endroit d’un groupe identifiable[2].

Dans ce cas-ci, aucun commentaire n’a en réalité été fait à l’endroit des Chinois. M. Kent soulignait que si les choses tournaient mal pour le parachutiste autrichien, les gens verraient sa tentative comme une cascade « idiote » et diraient qu’il est « some dumb guy » [traduction : un idiot quelconque]. M. Kent a joué sur les mots « some dumb guy » pour leur donner l’allure sonore chinoise « Sum Dum Guy ». Il a précisé davantage la farce en faisant allusion au [traduction] « célèbre chinetoque ». Bien qu’il puisse avoir fait preuve d’un manque de sensibilité en se moquant de noms chinois comme il l’a fait, M. Kent n’a pas fait de généralisations négatives à propos des Chinois au sens large. Le Comité ne constate par conséquent aucune violation des articles 2 du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’ACR.

Terminologie dérogatoire

Le Comité en vient toutefois à une autre conclusion en ce qui concerne le mot « chinaman » [traduction approximative : chinetoque]. Quoique le mot ait été utilisé sur un ton apparemment léger dans l’émission en cause, le Comité note que la plupart des dictionnaires de la langue anglaise moderne qualifient ce terme d’injurieux et péjoratif. Sa signification s’est transformée depuis au moins la fin des années 1800 et ce terme est devenu péjoratif désignant les Chinois et parfois même les gens de toute ethnie asiatique. Ce n’est pas l’équivalent de « Englishman », « Irishman », ou « Dutchman » [traductions : un Anglais, un Irlandais ou un Hollandais] (entre autres) car ces derniers n’ont jamais largement servi à exprimer de préjugé ou de racisme à l’endroit de ces groupes nationaux. Même si l’on peut dire qu’il ne s’agit pas d’un terme aussi péjoratif que certains autres termes racistes utilisés pour désigner les Chinois ou d’autres groupes raciaux, nationaux ou ethniques[3] et même si M. Kent ne l’a pas utilisé d’une façon particulièrement méchante, il n’en demeure pas moins que l’utilisation de ce terme était inappropriée et dénotait un manque de sensibilité. Étant donné l’évolution de la signification associée au mot « chinaman » au fil du temps et sa connotation actuelle nettement péjorative, le Comité des Prairies le considère suffisamment désobligeant pour ne pas être acceptable sur les ondes canadiennes et pour enfreindre, par conséquent, l’alinéa 9 b) du Code sur la représentation équitable.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CFXL-FM a déclaré qu’elle était du même avis que la plaignante quant à l’inadmissibilité du mot en question, et elle lui a présenté ses sincères excuses et l’a assurée que des incidents semblables ne se produiraient pas à l’avenir. Bien que la plaignante ait souhaité que le radiodiffuseur propose des mesures plus précises, le CCNR estime que celui-ci s’est montré très réceptif envers les préoccupations de la plaignante. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif et, sous réserve de l’annonce de cette décision, rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

L’Annonce de la dÉcision

CFXL-FM est tenue 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel elle a diffusé Tom Kent, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion à la plaignante qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CFXL-FM (XL 103 FM) a violé le Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs lors de la diffusion de l’émission Tom Kent le 10 février 2012. Cette émission contenait un terme péjoratif désignant les personnes d’origine chinoise et a donc violé l’alinéa 9 b) du Code, lequel interdit les mentions dérogatoires qui sont fondées sur la race ou l’origine ethnique ou nationale.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

[1] CHOM-FM et CILQ-FM concernant le Howard Stern Show (Décisions du CCNR 97/98-0001+, rendues les 17 et 18 octobre 1997) et CFYI-AM et CJCH-AM concernant l’émission de Dr. Laura Schlessinger (Décision du CCNR 99/00-0005+, rendue les 9 et 15 février 2000).

[2] Les décisions suivantes contiennent des exemples de commentaires qui ont ou n’ont pas enfreint les dispositions sur les droits de la personne : The Comedy Network concernant Comedy Club 54 (Décision du CCNR 97/98-1242, rendue le 3 février 1999); CKTF-FM concernant des commentaires faits dans le cadre de l’émission Les méchants matins du monde (Décision du CCNR 00/01-0705, rendue le 5 avril 2002); CFYI-AM concernant Scruff Connors and John Derringer Morning Show (Décision du CCNR 01/02-0279, rendue le 7 juin 2002); et CKOI-FM concernant une séquence exécutée par Cathy Gauthier dans le cadre de Fun radio (Décision du CCNR 04/05-1729, rendue le 9 septembre 2005).

[3] Consulter les décisions suivantes pour d’autres cas dans lesquels le CCNR a été saisi de terminologie se rapportant à la race ou à l’ethnie : CFRA-AM concernant The Lowell Green Show (Enquête sur les événements survenus en Somalie) (Décision du CCNR 96/97-0238, rendue le 20 février 1998); CKTB-AM concernant un épisode du Phil Hendrie Show (Décision du CCNR 02/03-0383, rendue le 2 mai 2003); CIDC-FM concernant une parodie du chant de Noël « Twelve Days of Christmas » (Décision du CCNR 10/11-0665, rendue le 12 juillet 2011); CFMT-TV concernant Gwai Lo Cooking (Décision du CCNR 99/00-0220, rendue le 6 juillet 2000); et SRC concernant Bye Bye 2008 (Décision du CCNR 08/09-0620+, rendue le 17 mars 2009).