CFNY-FM concernant le Dean Blundell Show (Pâques)

COMITÉ RÉGIONAL DE L’ONTARIO
Décision du CCNR 11/12-1715
15 novembre 2012
H. Hassan (vice-président), J. Medline (ad hoc), M. Oldfield, D. Ward (ad hoc)

LES FAITS

Le Dean Blundell Show est l’émission matinale diffusée du lundi au vendredi de 5 h 30 à 10 h à l’antenne de la station de rock alternatif CFNY-FM (102,1 The Edge, Toronto). Elle présente des informations sur l’actualité, la circulation et la météo, des chansons et les plaisanteries que s’échangent les animateurs, Dean Blundell, Todd Shapiro et Derek Welsman. Vers 7 h 35 le 2 avril 2012, soit le lundi avant Pâques, la conversation des animateurs a porté sur Pâques.

Blundell a lancé l’« hypothèse » que Jésus-Christ pouvait avoir été gai puisqu’il a choisi de passer sa dernière journée sur terre avec 12 hommes, à leur laver les pieds. Tôt dans la conversation, M. Welsman a déclaré, « pour que les choses soient claires » [for the record], qu’il n’était pas d’accord sur ce que son collègue allait dire, mais que cela le faisait quand même bien rire. Selon M. Blundell, le Christ « avait un faible pour les gars et les pieds » [had a thing for dudes and feet]. Il a passé un bon moment à imaginer avec ses coanimateurs ce que faisaient et ce dont parlaient Jésus et ses apôtres. Affectant des voix efféminées stéréotypées, les trois se sont livrés à une conversation imaginaire, empreinte de sous-entendus sur leurs activités homosexuelles. Le tout s’est déroulé dans le style osé, humoristique et irrévérencieux qui est typique de cette émission.

Après la pause pour les messages publicitaires et le bulletin de circulation, M. Blundell a lu les courriels et pris les appels téléphoniques des auditeurs qui critiquaient ses commentaires. Étant donné que la fête religieuse de Pâques a pour fondement la résurrection du Christ, M. Blundell a suggéré qu’on ne réagirait pas de nos jours à l’histoire de quelqu’un qui est ressuscité des morts de la même manière qu’à cette époque. La personne passerait plutôt pour un « zombie », a-t-il dit, et se ferait défoncer le crâne à coups de tuyau de plomb. (La transcription verbatim de ces propos figure à l’Annexe A.)

Un auditeur s’est plaint au CCNR le 2 avril que M. Blundell avait offensé « toute la religion chrétienne » en suggérant que Jésus-Christ était un homosexuel, en particulier pendant ce que les chrétiens considèrent comme la Semaine sainte. Dans sa réponse au plaignant le 23 avril, CFNY-FM a reconnu que certains auditeurs [traduction] « pouvaient avoir été offensés par le ton de la discussion autour d’un personnage religieux aussi central » et n’y avoir trouvé rien de drôle, mais que ce traitement irrévérencieux de son orientation sexuelle ne véhiculait absolument « pas de haine envers Jésus-Christ, ou de la discrimination envers les chrétiens en général ». Le 28 avril, le plaignant a déposé une Demande de décision. Dans la lettre d’accompagnement, il fait valoir que le commentaire de M. Blundell au sujet des « zombies » implique que la Résurrection n’a jamais eu lieu, ce qui constitue une attaque de plus contre toute la religion. (La correspondance complète figure à l’annexe B.)

LA DÉCISION

Le Comité régional de l’Ontario a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Article 3 – Représentation négative

Pour assurer une représentation adéquate de tous les individus et tous les groupes, les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter sur les ondes des représentations indûment négatives des individus en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. Une telle représentation négative peut prendre plusieurs formes, incluant, entre autres, les stéréotypes, la stigmatisation et la victimisation, la dérision au sujet des mythes, des traditions ou des pratiques, un contenu dégradant et l’exploitation.

Article 6 – Dérision des mythes, des traditions ou des pratiques

Les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter un contenu ayant pour effet de tourner indûment en dérision les mythes, les traditions ou les pratiques de certains groupes en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté l’émission en cause. Le Comité conclut que CFNY-FM n’a enfreint aucune disposition du Code.

Code et articles pertinents

Dans la Demande de décision qu’il a présentée le 28 avril, le plaignant affirme que l’émission a violé l’article 8 (Émissions à caractère religieux) du Code de déontologie de l’ACR. Or, cet article s’applique strictement aux émissions à caractère religieux, c’est-à-dire des émissions conçues spécifiquement pour communiquer les croyances et les valeurs d’une religion en particulier. Cet article ne peut s’appliquer à aucun autre type d’émission, même une émission qui aborde à l’occasion des sujets religieux comme, dans le cas présent, le Dean Blundell Show. L’article 6 du Code de l’ACR sur la représentation équitable cité ci-dessus est celui qui s’applique aux arguments soulevés par le plaignant. L’article 3 du même Code s’avère également pertinent en ce qu’il énumère les diverses formes de représentation négative qui sont reprises en détail dans les articles suivants.

Traitement humoristique de la religion

Le Comité reconnaît que certains auditeurs, tant chrétiens que non chrétiens, peuvent avoir trouvé les commentaires du Dean Blundell Show de très mauvais goût. Les animateurs n’ont pas simplement présenté une vision différente des événements marquants de la vie de Jésus-Christ dans le but de déclencher une discussion; ils se sont plutôt amusés à imaginer un scénario où Jésus adopte un comportement homoérotique avec ses apôtres, le tout saupoudré de nombreux clichés à propos des gais échangés sur un ton badin. Il était évident pour n’importe quel auditeur que cet échange de plaisanteries allait soulever l’indignation des chrétiens qui tiennent la dernière Cène et la Résurrection pour des événements sacrés de grande importance. Bien qu’il eût été troublant à n’importe quel moment de l’année, il l’était d’autant plus pendant la Semaine sainte.

Cela dit, le Comité de l’Ontario ne constate aucune violation des articles 3 et 6 du Code de l’ACR sur la représentation équitable. Comme le CCNR a eu l’occasion de l’expliquer dans des décisions antérieures, la religion n’est pas plus à l’abri de la critique, de la parodie et de la satire que ne le sont la politique, la culture et d’autres aspects de la société[1]. Le fait que des personnes se sentent mal à l’aise, voire offensées devant une plaisanterie qui porte sur la religion est certes regrettable, mais ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’il y a eu dérogation au Code. Il faut que le contenu ait pour effet « de tourner indûment en dérision » les mythes, traditions ou pratiques pour constituer une infraction à l’article 6 du Code sur la représentation équitable (et par extension à l’article 3, comme mentionné plus haut). Pour qu’on puisse parler de « tourner indûment en dérision », le Comité estime qu’on doit déceler dans ce contenu de la haine, du mépris ou une atteinte aux valeurs sociétéales plus profonde que le fait de heurter les principes de certaines personnes.

En analysant la discussion du Dean Blundell Show, le Comité observe qu’elle a consisté à imaginer ou tourner au ridicule certains gestes posés par Jésus durant sa dernière journée sur terre. Comme l’ont dit M. Blundell et ses coanimateurs au sujet de leur « hypothèse », ils [traduction] « l’ont simplement lancée en l’air » comme sujet de débat. En effet, M. Welsman a affirmé qu’il n’était lui-même pas d’accord avec M. Blundell et CFNY-FM a diffusé les réactions des auditeurs qui s’opposaient à toutes ces conjectures. Bien que les animateurs aient poussé leur hypothèse à l’extrême, ils n’ont pas insulté ou critiqué directement les personnes qui se rangent au récit traditionnel des événements, pas plus qu’ils n’ont laissé entendre que Jésus était une mauvaise personne. Le Comité comprend que des auditeurs puissent se sentir mal à l’aise à l’idée que le Christ se soit livré à certains comportements sexuels, surtout s’ils jugent ces comportements sexuels inconvenants. Le Comité fait d’ailleurs remarquer qu’en concluant à une infraction au Code, il aurait pu donner l’impression que l’homosexualité en soi pose un problème. Une telle conclusion ne serait pas conforme à l’esprit des codes et à la jurisprudence du CCNR qui, dans tous les cas, déclarent clairement que les commentaires abusifs ou une représentation indûment négative à l’égard de l’orientation sexuelle sont inacceptables.

Dans d’autres décisions où le CCNR a jugé qu’un contenu posait un problème par rapport à la religion, il y avait eu allusions directes aux membres d’une religion[2]. Le Comité estime que le contenu, dans ce cas-ci, même s’il fait plus que badiner sur un récit religieux, ne va pas jusqu’à le « tourner indûment en dérision ».

Le Comité ne voit pas non plus de problème à ce que M. Blundell ait parlé du scepticisme et de la peur que susciterait le récit d’une résurrection d’entre les morts à l’époque moderne. À aucun moment l’émission n’a-t-elle dénigré les chrétiens parce qu’ils croient en la résurrection du Christ. Lorsqu’il n’y a pas violation du Code, les auditeurs ont le loisir d’exprimer leur désaccord en éteignant tout simplement leur appareil radio.

En terminant, le Comité tient à faire une mise au point en ce qui concerne le libellé des articles 3 et 6. Ces deux articles font allusion à des « mythes ». Le Comité suggère que le mot « mythe » n’est peut-être pas celui qui convient, car il revêt une connotation de fiction ou d’affabulation. Le Comité est conscient que les rédacteurs du Code l’emploient dans le sens de « récit fondateur », mais il craint que l’utilisation du mot « mythe » dans le Code ne fasse que compliquer l’évaluation du CCNR dans des cas comme celui-ci.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CFNY-FM a répondu au plaignant en faisant valoir son point de vue sur l’émission. Le Comité note que cette réponse mentionne uniquement le Code de déontologie de l’ACR et ne tient pas compte du Code de l’ACR sur la représentation équitable. Même si le Code de déontologie de l’ACR a plus d’ancienneté, le Code sur la représentation équitable adopté en 2008 renferme des dispositions plus précises sur la représentation de groupes bien identifiés. Le Code sur la représentation équitable s’avérait plus pertinent dans ce cas-ci et CFNY-FM aurait dû en être consciente vu l’expérience qu’elle a acquise dans d’autres cas de plainte. Le Comité conclut que la station a rempli son obligation de se montrer réceptive et qu’aucune autre mesure n’est requise. Il tient cependant à souligner l’importance de comprendre quel code et quels articles sont en jeu pour pouvoir répondre adéquatement aux plaintes dès la première étape.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. La station contre laquelle la plainte a été formulée est libre d’en faire l’annonce, le récit ou la lecture sur ses ondes ; cependant, quand la décision est favorable à la station, comme dans le cas présent, elle n’est pas tenue d’en faire part.

[1] CKVR-TV concernant Just for Laughs (décision du CCNR 94/95-0005 rendue le 23 août 1995); The Comedy Network concernant l’émission spéciale de Bill Maher (décision du CCNR 97/98-0560 rendue le 28 juillet 1998); CFNY-FM concernant Humble & Fred (« Danger Boy on a Cross ») (Décision du CCNR 97/98-0644 rendue le 3 février 1999); et CTV concernant un épisode de Open Mike with Mike Bullard (décision du CCNR 01/02-0783+ rendue le 15 janvier 2003).

[2] CJAY-FM concernant Forbes and Friends quiz » à choix multiples) (décision du CCNR 02/03-0638 rendue le 15 décembre 2003) et CFNY-FM concernant le Dean Blundell Show (les femmes, les Freezies et l’Halloween) (décision du CCNR 11/12-0380 rendue le 24 mai 2012).