CFBK-FM concernant le segment « Shots & Afterthoughts »

Comité régional de l’Ontario
Décision CCNR 14/15-0554
2015 CBSC 7
28 août 2015
A. Noël, H. Hassan, R. MacEachern, M. Ziniak

LES FAITS

« Shots & Afterthoughts » est le titre d’un segment d’émission diffusé sur CFBK-FM (105,5 Moose FM, Huntsville, Ontario), au cours duquel les animateurs donnent leur opinion sur les événements du jour et d’autres sujets intéressant les auditeurs. Le 3 décembre 2014, vers 8 h 42, l’animateur Grant Nickalls s’est exprimé ainsi :

[traduction]

Vous savez que je dis souvent à quel point… je suis honoré … du soutien que je reçois, les courriels, les… Facebook. Mais j’aime aussi quand les gens ne m’aiment pas. Je ne vais pas vous mentir. Je veux dire… juste que… si je provoque la réflexion et que je pousse quelqu’un à réagir un peu, eh bien… je crois que je fais du bon travail. Et, vous savez, on n’est pas censé dénigrer nos auditeurs et ce n’est pas mon intention. Je vais me contenter de répondre parce que si je réponds aux choses positives, je peux bien répondre aux choses négatives. Celle-ci vient de mon amie, euh [K.M.]. [K.] dit ceci : « Quand vous êtes passés au hard rock et que vous avez placé Grant aux émissions de jour, mes oreilles n’ont pas pu le supporter. La musique, c’était déjà pénible, mais Grant ! Grant bafouille d’un bout à l’autre de ses entrevues et souvent il pousse trop loin. » Bon, voici ce que vais répondre. En ce qui concerne la musique, [K.], on est en train de mettre ça au point. Et, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le ton s’est passablement adouci. Donc, on travaille sur la musique. On, on travaille de ce côté-là et on apprécie vos… vos commentaires là-dessus. Quant au fait que je bafouille d’un bout à l’autre de mes entrevues, j’aime faire mes entrevues sur le ton de la conversation. J’aime faire parler les gens comme ils parlent normalement. Voyez-vous, non, ça ne se fait pas toujours dans le raffinement, mais je prends plaisir à communiquer avec les gens et je prends plaisir à écouter les gens. Alors, écoutez, je suis désolé si... si j’ai l’air de… de bafouiller d’un bout à l’autre. Au fond, c’est bien ça que je fais, [K.], tout ce que je fais dans le vie… c’est bafouiller. Je suis… je n’ai pas encore trouvé le remède de la perfection. Pour ce qui est de ma tendance à pousser trop loin, eh bien, [K.], je vous laisse deviner. Savez-vous quoi ? Euh… j’aime provoquer la réflexion. J’aime m’amuser. J’aime garder le sens de l’humour. Et j’aime, de temps en temps, ne pas prendre la vie trop au sérieux. Parce que, le savez-vous? On a tous besoin d’avoir un peu de plaisir de temps à autre et on a besoin de dépasser les bornes. Il faut pouvoir sortir de sa zone de confort. Donc, je vous remercie pour votre… pour votre petit… euh… message sur Facebook, [K.M.]. Et tout ce que j’ai à vous dire, [K.], parce que sais qui vous êtes, c’est merci. Merci pour votre écoute, [K.]. Voilà tout pour « Shorts & Afterthoughts », présenté par le centre commercial de la place Huntsville. On trouve de tout sur la place Huntsville.

Le 10 décembre 2014, le CCNR a reçu de la personne dont le nom était mentionné dans ce segment d’émission une plainte suivant laquelle Grant Nickalls aurait tenu des propos extrêmement diffamatoires à son égard (an extremely defamatory rant about me). Expliquant qu’elle avait placé sur Facebook un message privé adressé à la station avec ses commentaires sur l’émission, elle ne s’était pas attendue à ce que son nom soit divulgué, ni à subir ce qu’elle a appelé de l’intimidation en ondes (on-air bullying). Alléguant que Nickalls l’avait traitée de hater, elle craignait d’en venir à être identifiée comme telle dans sa petite localité.

Informée de la plainte par le CCNR, la station 105,5 Moose FM a fait savoir que la plaignante l’avait contactée directement avant de déposer sa plainte au CCNR et que l’animateur avait répondu avec une lettre d’excuses. Le directeur de la station a fait parvenir une réponse formelle à sa plainte le 24 décembre. Le radiodiffuseur indiquait dans sa lettre que les commentaires de Grant Nickalls visaient simplement à répondre aux critiques qu’elle avait faites sur ses talents radiophoniques et n’étaient pas du tout diffamatoires. Il a fait remarquer que l’animateur ne l’avait à aucun moment traitée de hater. Le radiodiffuseur a ensuite expliqué que le message de la plaignante sur Facebook avait été affiché de manière à ce que tous les employés de la station puissent le lire. Ce message ne comportait pas la mention « personnel et confidentiel », et rien n’indiquait qu’il ne devait pas être discuté en ondes. Enfin, le radiodiffuseur a mentionné que Grant Nickalls avait déjà présenté ses excuses et que la station avait tenté de ménager une rencontre en face à face avec la plaignante pour régler le problème, mais que celle-ci avait ensuite annulé.

La plaignante a déposé une demande de décision le 15 janvier 2015. Elle allègue que n’ayant pas affiché ses critiques de la station publiquement, elle ne s’attendait pas à ce que son nom soit divulgué en ondes sans son consentement. Elle ne s’attendait pas en particulier, écrit-elle, à ce qu’on la traite de tous les noms et qu’on l’intimide à la radio. Elle demande enfin à ce que Grant Nickalls lui présente des excuses en ondes pour s’être comporté de cette façon. (La correspondance complète figure dans l’Annexe, en anglais seulement.)

LA DÉCISION

Le Comité régional de l’Ontario a étudié la plainte à la lumière de l’article 6 du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) et l’article 4 du Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées (ASNNR) :

Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Code de déontologie de l’ASNNR, Article 4 – Vie privée

Les journalistes des services électroniques respecteront la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes avec qui ils traitent; ils mettront tout en œuvre pour s’assurer de manière raisonnable que la collecte d’information et sa diffusion ne constituent en aucune façon une violation de la vie privée à moins que ce ne soit nécessaire dans l’intérêt public. Les techniques clandestines de cueillette de nouvelles ne devraient être utilisées que pour assurer la crédibilité ou l’exactitude de l’information qui soit dans l’intérêt public de diffuser.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté un enregistrement de l’émission diffusée par la station le 3 décembre entre 8 h et 9 h. Le Comité conclut que CFBK-FM (105,5 Moose FM) n’a pas enfreint les dispositions des codes citées ci-dessus.

Présentation complète, juste et appropriée

Bien que l’animateur en ondes, Grant Nickalls, ait réagi aux critiques à son égard sur un ton plutôt défensif, le comité décideur n’est pas d’avis que ses propos aient été extrêmement diffamatoires à l’égard de la plaignante (la transcription du segment complet est citée ci-dessus, sauf pour le nom de la plaignante), ou qu’il ait tenté de l’intimider en ondes comme elle l’affirme. Le comité a écouté une heure complète de l’émission avant, pendant et après le segment en litige, et pas une seule fois n’a entendu le mot hater que mentionne la plaignante. Au contraire, Monsieur Nickalls a été poli, allant jusqu’à remercier la plaignante pour ses commentaires sur la programmation et pour son écoute. Le comité est donc d’avis que le radiodiffuseur n’a pas enfreint l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR en citant le message original de la plaignante à la station, ou en le commentant1.

Respect de la vie privée

Outre les propos la concernant, la plaignante est troublée par le fait que Monsieur Nickalls ait dévoilé son nom. Sur cette question de confidentialité, le comité décideur estime qu’envoyer un message à la station sur son site Facebook de manière à ce qu’il puisse être lu par tous les employés n’est pas la façon appropriée d’invoquer la confidentialité. La plaignante affirme avoir envoyé ses commentaires dans ce qu’elle appelle un « message privé », qu’elle a adressé au groupe de la station sur Facebook et non pas affiché sur le babillard; pour cette raison, elle estime que la station devait s’abstenir de mentionner son nom en ondes.

Bien que le message n’ait pas été affiché au mur du destinataire pour que la communauté Facebook tout entière puisse le lire, il reste qu’il a été envoyé à l’ensemble des employés de la station et ne comportait aucune mention de confidentialité. Pour être considéré comme confidentiel, un message doit normalement être adressé, par courriel ou par lettre, à une personne en particulier avec la mention « personnel et confidentiel ». Quoiqu’il soit compréhensible que la plaignante n’ait pas pensé à préciser cette indication sur son message, il reste que toute personne qui adresse des commentaires généraux à une station doit normalement s’attendre à ce qu’il en soit question en ondes. Le même principe s’applique aux courriels qu’on envoie à une adresse générale (plutôt qu’à une personne en particulier), aux formulaires qu’on remplit en ligne pour établir un contact, à un appel téléphonique sur la ligne d’un studio et aux messages expédiés par le truchement d’un réseau social comme Facebook et Twitter. Dans cette optique, le comité estime que le radiodiffuseur n’a pas contrevenu à l’esprit de l’article 4 (Vie privée) du Code de déontologie de l’ASNNR, ni à l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR. (L’émission en question n’étant pas de nature strictement journalistique, le Code de l’ASNNR ne s’applique pas comme tel; cependant, lorsque le respect de la vie privée est mis en cause dans une émission qui n’est pas journalistique, le CCNR applique l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR tout en gardant à l’esprit la formulation de l’article 4 du Code de déontologie de l’ASNNR2.)

Cela étant dit, le comité observe que le fait de citer le nom de la plaignante n’ajoutait rien aux commentaires de Monsieur Nickalls, même si ceux-ci n’étaient certes pas diffamatoires. Le comité estime que les radiodiffuseurs devraient se garder de nommer des personnes en ondes, même quand les commentaires à leur égard n’ont rien de déplaisant. Le comité ajoute que s’il y avait eu des informations additionnelles à propos de la plaignante (par exemple, son adresse ou le nom de son employeur), sa décision aurait vraisemblablement été différente3.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent dans quelle mesure le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CFBK-FM a déployé des efforts considérables pour calmer les préoccupations de la plaignante. Tout d’abord, l’animateur a envoyé une lettre personnelle d’excuses. Ensuite, le directeur de la station lui a téléphoné pour discuter de la situation et lui a proposé une rencontre en personne. Quand ces efforts n’ont pas paru satisfaire la plaignante puisqu’elle déposait une plainte, le radiodiffuseur lui a envoyé une lettre détaillée, exposant son point de vue et expliquant les mesures qu’il avait prises. Les gestes posés par CFBK-FM ont été raisonnables et même louables. Ce radiodiffuseur ayant rempli son obligation de se montrer réceptif, il n’y a pas lieu d’en exiger davantage de sa part.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. Le radiodiffuseur contre qui la plainte a été formulée est libre d’en faire l’annonce, le récit ou la lecture sur ses ondes; cependant, quand la décision est favorable au radiodiffuseur, comme dans le cas présent, il n’est pas tenu d’en faire part.

1 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR a conclu que les commentaires à l’égard du plaignant ne devaient pas être considérés comme offensants : CHMP-FM concernant une séquence diffusée dans le cadre de Puisqu’il faut se lever (Décision CCNR 06/07-0607, 7 avril 2008); CHKG-FM concernant Lac Viet Radio (Décision CCNR 05/06-0023, 9 mai 2006).

2 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR applique là aussi « l’esprit » de l’article 4 du Code de déontologie de l’ASNNR à une émission non journalistique : CFTM-TV (TVA) concernant Tôt ou tard (Décision CCNR 00/01-1080, 5 avril 2002); CIKI-FM concernant une blague dans le cadre de Tout le monde debout (Décision CCNR 02/03-0358, 17 juillet 2003); CJMS-AM concernant des commentaires faits dans le cadre de deux épisodes de Le p’tit monde à Frenchie (Décision CCNR 04/05-0939, 24 octobre 2005); CHMP-FM concernant une séquence diffusée dans le cadre de Puisqu’il faut se lever (Décision CCNR 06/07-0607, 7 avril 2008); CKZZ-FM concernant une séquence dans l’émission Kiah & Tara Jean (Décision CCNR 11/12-0686, 4 juillet 2012).

3 Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR a constaté des violations de la vie privée : CKAC-AM concernant l’émission de Gilles Proulx (Décision CCNR 94/95-0136, 6 décembre 1995); CIQC-AM concernant Galganov in the Morning (Atteinte à la vie privée) (Décision CCNR 97/98-0509, 14 août 1998); TQS concernant les commentaires de Gilles Proulx dans le cadre de l’émission Journal du midi (grève des services de transport en commun) (Décision CCNR 03/04-0334, 22 avril 2004); CJMS-AM concernant des commentaires faits dans le cadre de deux épisodes de Le p’tit monde à Frenchie (Décision CCNR 04/05-0939, 24 octobre 2005).