Canal D concernant C’est incroyable! (« Malfaiteurs détraqués »)

COMITÉ RÉGIONAL DU QUÉBEC
Décision du CCNR 11/12-0954
18 septembre 2012
G. Moisan (Vice président), G. Bonin (ad hoc), S. Charbonneau, M. Ille, T. Porrello

LES FAITS

C’est incroyable! est une émission de télé-réalité qui présente des vidéoclips de véritables crimes, pendant leur perpétration, à partir d’images captées par des caméras de surveillance ou encore par des passants utilisant leur appareil mobile. Un narrateur décrit l’action qui se déroule sur le vidéoclip ainsi que le contexte qui l’entoure. Il y a aussi parfois des entrevues avec des policiers ou des individus impliqués dans les dossiers présentés.

Le 12 janvier 2012 à 14 h, dans le cadre de cette émission, le service de télévision spécialisée Canal D a diffusé un épisode intitulé « Malfaiteurs détraqués ». Bien que certains des crimes présentés étaient non-violents (vols ou poursuites automobiles), la plupart était de nature violente. Par exemple, dans un des cas présentés, deux hommes entrent dans un restaurant, assènent un coup de bâton à un individu qui se trouve sur les lieux, donnent des coups-de-pied dans l’entrejambe d’un serveur, et enlèvent une femme qui se trouve là en la tirant par les cheveux. Dans un autre vidéoclip, un homme tient une jeune fille en otage en la menaçant d’un grand couteau au beau milieu d’une rue très achalandée. D’après le narrateur, la lame du couteau aurait mesuré 100 cm et l’homme maintenait son arme comme pour l’enfoncer dans l’estomac de la victime. Le vidéoclip montrait alors la lame en champ rapproché pour confirmer les faits. Dans un autre extrait, un homme projette violemment sa compagne sur un mur de briques. Il y avait aussi des scènes montrant des échanges de coup de feu pendant une attaque à mains armées dans une épicerie; des agents de police utilisant un pistolet « Taser » contre un individu pendant une arrestation; un combat sanglant entre voisins; des combats de rue entre deux groupes de jeunes hommes, etc. Dans tous les cas les vidéoclips étaient diffusés en boucle, pendant l’émission comme telle et comme une aguiche juste avant les pauses commerciales.

Canal D a attribué la cote 13+ à l’émission et a diffusé la mise en garde suivante au début de l’émission et au retour de chaque pause publicitaire :

Avertissement : Cette émission comporte des scènes pouvant ne pas convenir à un jeune public. La supervision des parents est suggérée.

Le CCNR a reçu une plainte concernant la diffusion le 12 janvier. La plaignante a mentionné certaines des scènes décrites ci-dessus et s’est demandé comment peut-on permettre que cette « violence inouïe » et cette « folie meurtrière » soient diffusées en plein jour. Canal D a répondu à la plaignante le 18 janvier en faisant valoir que le service a pour mandat d’aborder des sujets suscitant la controverse et que l’émission C’est incroyable! « ne cautionne ou ne fait en aucun cas l’apologie de la violence. Bien au contraire, le narrateur souligne généralement l’absurdité des gestes posés ». Canal D a également noté qu’il a diffusé des mises en garde et l’icône de classification 13+ pour tenir compte du fait que « des segments de l’émission peuvent être offensants pour certains personnes ». La plaignante a déposé sa demande de décision le 19 janvier. Elle ajoutait dans sa lettre qu’elle n’aurait pas eu de problème si l’émission avait été diffusée après 21 h, mais qu’à son avis il ne convenait pas de diffuser ce type de programme en plein jour alors que des enfants sont susceptibles de la regarder. Elle a fait valoir que « [que] des jeunes se fassent violence n’est que le reflet de ce qu’ils peuvent voir à la télévision dans ce type d’émission à sensations » et elle a donné l’exemple de jeunes qui affichent des vidéoclips de bagarres sur le web. Elle a conclu en disant que les avertissements ne font qu’inciter les jeunes à regarder l’émission. (Le texte complet de toute la correspondance se trouve à l’annexe.)

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code concernant la violence de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :

Article 1.0 – Contenu

1.1        Les télédiffuseurs canadiens ne doivent pas diffuser d’émissions qui :

Article 3.0 – Horaire des émissions

3.1        Programmation

3.1.1     Les émissions comportant des scènes violentes et destinées à un auditoire adulte ne doivent pas être diffusées avant le début de la plage des heures tardives de la soirée, plage comprise entre 21 h et 6 h.

Article 4.0 – Classification

13+

L’émission ne peut être vue, achetée ou louée que par des personnes de 13 ans et plus. Les enfants de moins de 13 ans peuvent y avoir accès s’ils sont accompagnés par un adulte.

La Régie classe dans cette catégorie les films qui nécessitent du discernement. Ces films comportent des passages ou des séquences qui peuvent heurter la sensibilité d’un public plus jeune.

Le public adolescent est davantage conscient des artifices du cinéma et il est psychologiquement mieux armé pour suivre des films plus complexes ou impressionnants. Aussi, la violence, l’érotisme, le langage vulgaire ou l’horreur peuvent y être plus développés et constituer une caractéristique dominante du film. Il importe toutefois que le film permette de dégager le sens à donner aux divers personnages et à leurs actions car, à l’adolescence, les jeunes ne sont pas nécessairement outillés pour faire face à tout. C’est pourquoi certaines thématiques (drogue, suicide, situations troubles, etc.) et le traitement dont elles font l’objet sont examinés avec beaucoup d’attention.

16+

L’émission ne peut être vue, achetée ou louée que par des personnes de 16 ans et plus.

De façon générale, vers l’âge de 16 ans, les jeunes traversent une période charnière, entre la fin de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. Plus autonomes, ils ont acquis une certaine maturité psychologique.

Les émissions classées dans cette catégorie exposent des thématiques, des situations ou des comportements troublants et adoptent un point de vue plus direct sur les choses. Ils peuvent donc contenir des scènes où la violence, l’horreur et la sexualité sont plus détaillées.

Article 5 – Mise en garde à l’auditoire

5.1        Pour aider le téléspectateur à faire son choix d’émissions, les télédiffuseurs doivent présenter des mises en garde au début et pendant la première heure d’émission diffusée pendant la plage des heures tardives, qui contient des scènes de violence à l’intention d’auditoires adultes.

5.2        Les télédiffuseurs doivent diffuser des mises en garde au début et pendant la présentation d’émissions diffusées hors de la plage des heures tardives et qui contiennent des scènes de violence qui ne conviennent pas aux jeunes enfants.

5.3        Des modèles de mises en garde figurent à l’annexe A [du Code concernant la violence].

Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et ont visionné l’émission en question. Le Comité conclut que Canal D n’a pas violé l’article 1, mais qu’il a violé les articles 3, 4 et 5 du Code de l’ACR concernant la violence.

 

Violence gratuite, la promotion ou la glorification de la violence

Le Comité note que le thème de l’émission porte sur des scènes de crimes et que le narrateur prend bien soin de rappeler que les criminels en question sont toujours pris. Il rappelle que l’objectif recherché dans ce genre d’émission est le sensationnalisme, mais que rien dans l’émission en question ne constitue de la violence gratuite telle que définie par le Code de l’ACR concernant la violence, ou n’endosse, n’encourage ou ne glorifie la violence. Toutefois les membres du Comité soulignent que la répétition des mêmes scènes n’est sans doute pas souhaitable et n’ajoute rien au déroulement de l’émission. Le Comité conclut donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Code de l’ACR concernant la violence.

Mise à l’horaire

Toutefois, le Comité est d’avis qu’en raison de sa nature même, l’émission en question aurait dû être diffusée durant la plage des heures tardives, soit entre 21 h et 6 h. En effet, l’émission comportait de très nombreuses scènes de violence, qui plus est des scènes de violence réelles et non fictives. Ce genre d’émission s’adresse donc à un auditoire adulte et en la diffusant à 14 h, le Comité conclut que Canal D a enfreint les dispositions de l’article 3.1.1 du Code de l’ACR concernant la violence.[1]

Classification

Compte tenu de la quantité et de la nature des actes violents diffusés pendant l’émission, le Comité s’est interrogé sur la classification donné par Canal D, soit 13+.

13+ : La Régie classe dans cette catégorie les films qui nécessitent du discernement. Ces films comportent des passages ou des séquences qui peuvent heurter la sensibilité d’un public plus jeune. [c’est nous qui soulignons]

16+ : Les émissions classées dans cette catégorie exposent des thématiques, des situations ou des comportements troublants et adoptent un point de vue plus direct sur les choses. Ils peuvent donc contenir des scènes où la violence, l’horreur et la sexualité sont plus détaillées. [c’est nous qui soulignons]

En passant en revue les passages pertinents du système de classification du Code de l’ACR concernant la violence soulignés ci-dessus, les membres du Comité en sont venu à la conclusion que le diffuseur a mal classifié cette émission qui contenaient de très nombreuses scènes de violence très détaillées et non pas des passages ou séquences pouvant heurter la sensibilité d’un jeune public. Le Comité conclut que l’émission aurait dû être classifiée 16+ et que Canal D a enfreint les dispositions de l’article 4 du Code de l’ACR concernant la violence.[2]

Mise en garde à l’auditoire

Le Comité s’est enfin penché sur le texte des mises en garde lues et montrées à l’écran au cours de l’émission :

Avertissement : Cette émission

comporte des scènes pouvant ne pas convenir à un jeune public

. La supervision des parents est suggérée. [c’est nous qui soulignons]

Le Comité n’a pu que constater que rien, dans cette mise en garde, ne faisait référence au caractère violent de l’émission. La jurisprudence du Conseil à cet égard exige que les mises en garde soient détaillées et non d’ordre général.[3] La mise en garde aurait donc dû mentionner que l’émission comportait des scènes de violence. En omettant de le faire le Comité conclut que Canal D a enfreint l’article 5 du Code de l’ACR concernant la violence.

Réceptivité du télédiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le (la) plaignant(e). Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du (de la) plaignant(e), sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, Canal D a donné une réponse adéquate expliquant son point de vue à la plaignante. Le télédiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif et, sous réserve de l’annonce de cette décision, rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

L’Annonce de la décision

Canal D est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel il a diffusé C’est incroyable, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion à la plaignante qui a présenté la demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que Canal D a violé le Code concernant la violence de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans sa diffusion de C’est incroyable! le 12 janvier 2012. Canal D a violé l’article 3 du Code concernant la violence en diffusant avant 21 h une émission qui renfermait des scènes de violence destinées à un auditoire adulte. Il a violé l’article 4 du même Code en classifiant l’émission 13+ au lieu de 16+; il a aussi violé l’article 5 de ce Code parce qu’il n’a pas mentionné la violence dans les mises en garde à l’auditoire.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.

[1] Voir les décisions suivantes pour des exemples où le CCNR a jugé que le contenu violent doit être diffusé entre 21 h et 6 h: CITY-TV concernant un épisode du Maury Povich Show (Décision du CCNR 02/03-1424, rendue le 10 février 2004) et TQS concernant deux épisodes de Les experts : Manhattan (CSI : New York) (Décision du CCNR 08/09-0880, rendue le 11 août 2009).

[2] Voir TQS concernant deux épisodes de Les experts : Manhattan (CSI : New York) (Décision du CCNR 08/09-0880, rendue le 11 août 2009) pour un autre émission qui tombe dans la catégorie 16+.

[3] Séries+ concernant CSI : Miami (Décision du CCNR 09/10-1730, rendue le 25 janvier 2011).